« Et si la mort soudaine de mon mari, à peine quelques heures après avoir signé le contrat de bail de notre futur restaurant, n’avait servi qu’à enrichir un propriétaire sans scrupules ? Suis-je condamnée à regarder s’envoler 197 000 euros, notre rêve, nos sacrifices… sans aucun recours ? »
L’histoire aurait dû être celle d’une renaissance. Celle d’un couple, Christian et Laura, qui, après des années de sacrifices, décidaient de se lancer dans un projet qui leur tenait à cœur : Ouvrir leur propre restaurant dans un quartier vivant de Bayonne. Lui, restaurateur passionné, elle, ancienne infirmière reconvertie dans la gestion. Tous deux avaient mis chaque centime de côté, vendant un appartement familial, renonçant à des vacances, pour amasser l’acompte de 197 000€ qu’exigeait le propriétaire des lieux.
Le contrat de bail commercial avait été signé le mardi matin, dans un cabinet d’avocats. Le sourire de Christian rayonnait, celui d’un homme fier d’avoir franchi la dernière étape avant l’accomplissement de son rêve. Quelques heures plus tard, alors qu’il déambulait dans les futurs locaux, imaginant l’emplacement de la cuisine ouverte, de la salle chaleureuse, Christian s’est effondré.
Un infarctus massif. Mort sur le coup.
Laura, anéantie, a dû enterrer l’homme de sa vie sans comprendre comment leur bonheur avait pu se transformer en cauchemar aussi brutalement. Mais après la douleur, la stupeur. En contactant le propriétaire des lieux pour résoudre les dernières formalités, elle a reçu une réponse glaçante : L’acompte ne serait pas remboursé.
Pas même en partie.
« Un contrat est un contrat, madame. Votre mari est décédé, ce n’est pas de mon fait. L’argent a été versé. Il n’y a pas de clause de remboursement en cas de décès. »
Ces mots, Laura les a encore en travers de la gorge. Ils lui ont été prononcés avec une froideur déconcertante, par un homme qu’elle pensait commerçant, voire humain. Or, pour lui, elle n’était désormais qu’une veuve parmi d’autres. Une signature sur un papier. Un non-projet.
Mais comment la loi peut-elle cautionner une telle situation ?
Le bail était dûment signé. L’acompte avait été versé par virement bancaire, en bonne et due forme. Or, du point de vue juridique, il n’y a pas d’obligation légale de rembourser un acompte, même si le locataire n’occupe jamais les lieux. Surtout dans le cas d’un bail commercial, où la volonté de conclure est actée par la signature. Le propriétaire peut donc conserver la somme, même si le bien n’est pas utilisé, même si la mort empêche l’exécution du contrat.
« C’est une faille du système, explique Maître Géraldine Perrot, avocate en droit commercial. Moralement, c’est choquant. Juridiquement, c’est défendable. »
Laura, désormais seule face à la dette, a tenté de faire valoir la force majeure, l’impossibilité d’exécution liée à un événement imprévisible. Mais le propriétaire campe sur sa position. Il a d’ailleurs déjà remis le local en location.
« C’est doublement cruel, souffle Laura. Non seulement je perds Christian, mais je dois regarder d’autres s’installer dans ce lieu qu’il aimait déjà. Avec notre argent. »
Les amis, la famille, les anciens collègues de Christian se sont mobilisés. Une pétition a été lancée, recueillant plusieurs milliers de signatures. Les mots « bailleur sans cœur », « injustice », « indécence » fusent dans les commentaires. La Mairie a tenté une médiation, en vain.
La question posée dépasse le simple cas de Laura. Elle touche à une brèche légale qui permet à certains de s’enrichir sur la douleur. Un vide que certains qualifient d’« amoral ». D’autres, plus cyniques, parlent de simple opportunité.
Laura a décidé de poursuivre le combat. Pas seulement pour récupérer les 197 000€, mais pour que le droit tienne aussi compte de l’humanité. Que la justice puisse rétablir l’équilibre, là où la loi s’arrête.
« Christian ne serait pas resté silencieux face à une telle injustice. Alors moi non plus. »