Une abaya, une salle à part, un père en colère : retour sur l’affaire de la candidate voilée mise à l’écart à Dreux.

Une candidate portant un voile islamique passe son Bac dans une salle isolée, son père traite la proviseure de raciste

SOCIETE

Dreux, un matin de juin…

Le soleil peinait à s’imposer derrière les lourds nuages d’un été capricieux, tandis que dans la cour du lycée Rotrou, les élèves se pressaient en silence. Ce jour-là, lundi 17 juin 2025, avait une saveur particulière : Celle du grand saut dans l’inconnu. C’était l’épreuve de philosophie du baccalauréat général.

Parmi eux, Amina, 19 ans, candidate libre, marchait d’un pas calme. Son abaya noire flottait légèrement dans le vent. Elle portait également un voile sobre, sans fioritures, en accord avec sa foi. Elle n’était pas scolarisée dans ce lycée, mais y passait son examen comme des centaines d’autres candidats libres dans toute la France. Pour elle, comme pour tous, ce jour comptait. Mais elle ignorait que son nom allait bientôt faire le tour des réseaux sociaux… et enflammer les débats.

Une mise à l’écart qui interroge

En entrant dans l’établissement, Amina est arrêtée par un surveillant. Une consigne de la direction : Contrôle renforcé. Il ne s’agit pas d’un acte ciblé, mais la direction affirme vouloir éviter toute fraude technologique. On lui demande de montrer ses poignets. Elle obtempère. Puis ses oreilles. Aucune oreillette. Là encore, elle s’exécute, même si elle sent la gêne monter.

Mais au lieu d’être dirigée vers une salle d’examen classique, Amina est conduite vers une pièce isolée, sans autres candidats. On ne lui donne pas d’explication claire, sinon que c’est pour le bon déroulement de l’épreuve. « Pour éviter les perturbations », aurait soufflé un surveillant.

Amina ne comprend pas. Elle n’a pas parlé, elle n’a pas contesté, elle est simplement là, pour composer. Mais elle est seule. Très seule. Derrière cette porte fermée, les stylos grattent ailleurs, dans des salles pleines. Pour elle, c’est le silence — un silence pesant, qui n’a rien d’apaisant.

Le lendemain, la colère éclate

Le mardi 18 juin, au petit matin, le père d’Amina se présente au lycée. Il a appris ce qui s’était passé. Il est furieux, blessé. Pour lui, sa fille a été discriminée parce qu’elle porte le voile. Sa voix s’élève. Il veut des réponses. Il exige une rencontre avec la proviseure.

Lorsque celle-ci le reçoit dans son bureau, le ton monte. L’homme est en colère. Très vite, il prononce des mots qui feront basculer l’affaire : « Vous êtes raciste », accuse-t-il. La proviseure, choquée, met fin à l’entretien. L’établissement appelle la police.

Une plainte pour outrage à personne chargée de mission de service public est déposée contre le père d’Amina. Le parquet est saisi. L’affaire prend de l’ampleur. Sur X (anciennement Twitter), Facebook et TikTok, les réactions se multiplient. Certains dénoncent un traitement injuste. D’autres défendent la position de l’établissement. La tension est palpable.

Ce que dit la loi

La fameuse loi du 15 mars 2004, interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, s’applique uniquement aux élèves inscrits dans des établissements publics. Mais Amina est une candidate libre. Elle ne dépend donc pas du règlement intérieur du lycée.

Cependant, les chefs d’établissement ont la possibilité, en vertu des consignes de sécurité et du bon déroulement des examens, de prendre certaines décisions exceptionnelles. Dans ce cadre, la direction a décidé de la faire composer seule, sans préciser clairement s’il s’agissait d’une mesure de neutralité ou de précaution.

Le rectorat d’Orléans-Tours, sollicité par plusieurs médias, confirmera plus tard que la candidate « a pu composer dans des conditions compatibles avec les exigences du bac ».

Une affaire symptomatique

Mais ce que vit Amina dépasse les textes. Elle ressent cette mise à l’écart comme une humiliation. « Comme si j’étais suspecte, comme si j’étais une menace, simplement parce que je portais une abaya », dira-t-elle à un proche, selon des propos rapportés sur les réseaux sociaux.

Pour son père, l’indignation ne s’éteint pas. Il regrette ses mots, mais les assume. Il déclare à la presse locale : « Quand on touche à ma fille, c’est à moi qu’on touche. Ce qu’ils ont fait, c’est du mépris, du racisme voilé. »

La proviseure, elle, reçoit le soutien du personnel. Un syndicat écrit : « Les chefs d’établissement ne peuvent pas être les boucs émissaires de décisions prises pour protéger le cadre républicain. »

Le débat national relancé

L’affaire de Dreux n’est pas isolée. Elle s’ajoute à une longue série de tensions autour du port du voile en milieu scolaire ou universitaire. À chaque fois, la même question : Jusqu’où va la laïcité ? Et surtout : Qui en paie le prix ?

Certains dénoncent une laïcité devenue une arme politique. D’autres alertent sur la montée des revendications communautaires. Entre les deux, des jeunes comme Amina, qui tentent simplement d’exister, de réussir, sans renier ce qu’elles sont.

🎓 Une épreuve bien plus grande que le Bac

Ce jour-là, Amina ne passait pas seulement une épreuve de philosophie. Elle affrontait un examen bien plus cruel, celui du regard des autres, des soupçons infondés, de la suspicion collective. Et de cette blessure, il ne reste pas que des copies à corriger : Il y a une société à interroger, une jeunesse à écouter, un système à réajuster.

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