Ce soir-là, en refermant la porte de son studio d’étudiant, Hugo ne s’attendait pas à ce que cette émission change à ce point sa perception du monde. “Dis-moi”, interroge-t-il son amie Lina, les yeux encore humides, “si on découvre tous un racisme inconscient… pourquoi le RN réclame-t-il alors la privatisation de France Télévisions ?”
Une soirée pas comme les autres
Dans un appartement lumineux du 13ᵉ arrondissement de Paris, Hugo, étudiant en sciences politiques, avait invité quelques amis pour un dîner simple. L’actualité, ces derniers temps, lui semblait terne. Mais ce lundi 17 juin 2025, une promesse vibrait dans l’air. À 21h10, France 2 diffusait une émission annoncée comme une expérience inédite : « Sommes‑nous tous racistes ? ».
Pas un débat classique. Pas une énième table ronde politique. Un documentaire vivant, sensoriel, intime. Une plongée dans nos propres contradictions. Avec à la barre deux figures familières et rassurantes : Jamy Gourmaud, le vulgarisateur préféré des Français, et Marie Drucker, la journaliste sobre et engagée. À leurs côtés, le psychologue Sylvain Delouvée, spécialiste reconnu de la psychologie sociale et des biais cognitifs.
Le principe de l’émission : Une expérience grandeur nature
L’idée de départ est audacieuse. Et si le racisme n’était pas que l’apanage de l’extrême droite ? Et si chacun, dans son quotidien, portait sans le savoir un biais ? Pour le démontrer, les réalisateurs ont rassemblé 50 Français d’âges, de sexes, d’origines et de croyances différents. Pendant une semaine, tous ont vécu une immersion dans un centre spécialisé, dans le but d’analyser scientifiquement leurs réflexes sociaux, leurs comportements spontanés, leurs silences, leurs regards.
Au cœur du dispositif : Le test IAT (Implicit Association Test), mis au point par Harvard. Ce test mesure, à travers des réponses ultra-rapides, nos réflexes inconscients face à des prénoms, des visages, des mots, en les associant à des sentiments positifs ou négatifs.
Dans un décor épuré et lumineux, chaque participant passait l’épreuve. Certains en ressortaient bouleversés. D’autres, incrédules. Mais tous confrontés à une réalité invisible : Un préjugé logé dans les plis de leur subconscient.
Des témoignages bruts, puissants, bouleversants
Fatou, 36 ans, cadre de santé d’origine sénégalaise, s’effondre en découvrant que plusieurs de ses collègues “bienveillants” la considèrent instinctivement comme “moins compétente”.
Pierre, un retraité de 68 ans qui “ne se croyait pas raciste du tout”, reste sans voix après avoir échoué à l’IAT à plusieurs reprises.
Même Nassim, d’origine maghrébine, découvre qu’il associe inconsciemment les visages noirs à des images de danger.
L’émission bouleverse, mais ne juge jamais. Elle cherche à éveiller. À dire que le racisme n’est pas toujours conscient. Il est structurel, culturel, systémique.
La fureur du Rassemblement National
Mais à peine les crédits de fin apparus, les réseaux sociaux s’enflamment. À la pointe de la réaction : Julien Odoul, figure montante du Rassemblement National, qui dénonce une émission “anti-blanc”, une “propagande idéologique” financée par l’argent public.
Son message publié sur X le 18 juin au matin est explicite :
“France Télévisions, avec votre argent, diffuse une émission stigmatisante, culpabilisante et raciste. Il est temps de PRIVATISER l’audiovisuel public. Le RN le fera.”
Privatiser France Télévisions. Une proposition qui figurait déjà dans le programme du RN pour les législatives de 2024, mais que cette émission vient cristalliser.
Le projet du RN : Libéraliser l’information ?
Selon les cadres du parti, le service public télévisé est gangrené par une idéologie de gauche, “pro-migrants”, “anti-flics” et “anti-blancs”. Pour eux, une télévision nationale devrait refléter les valeurs majoritaires, et non promouvoir ce qu’ils considèrent comme une “culpabilisation à sens unique”.
La ligne défendue est claire : Supprimer la redevance, privatiser France Télévisions, ouvrir les chaînes à la concurrence pure.
Mais derrière ce discours, de nombreux observateurs dénoncent une tentative de museler la critique sociale, d’appauvrir la diversité médiatique, et de mettre fin à la mission de service public.
Une France divisée… ou réveillée ?
Pendant que certains spectateurs, comme Hugo, sortaient transformés par l’émission, des sphères politiques semblaient enragées par sa réception.
Et si « Sommes‑nous tous racistes ? » était finalement la preuve que la télévision publique peut encore déranger, éveiller, questionner ? Et si, en voulant à tout prix la privatiser, le RN révélait sa crainte face à une parole libre, scientifique, difficile à contrôler ?
Car ce qui dérange dans cette émission, ce n’est pas son ton. C’est son miroir.
Un miroir qui dérange
Dans les jours qui suivirent la diffusion, les débats ne faiblirent pas. Certains accusèrent l’émission de partialité. D’autres la saluèrent comme un électrochoc nécessaire. Dans les lycées, les facs, les salons, elle avait semé une graine : Et si ce n’était pas les autres, mais nous ?
Hugo, lui, n’a pas oublié ce soir-là. Depuis, il observe différemment les regards dans le métro. Il réfléchit avant de juger. Et se demande, parfois, si ce que le RN combat, ce n’est pas le racisme… mais la lucidité.