Comment un père de famille, intégré depuis plus de deux décennies en France, a-t-il pu être expulsé sans même dire adieu aux siens, sur la base d’une loi appliquée avec une rigueur glaciale ? Et si, derrière la froideur administrative, se cachait une erreur aux conséquences irréversibles ?
La brume matinale recouvrait encore les collines paisibles d’Anchenoncourt-et-Chazel, ce petit village de Haute-Saône où le silence n’est troublé que par le chant des oiseaux et le passage lointain d’un tracteur. Dans cette France rurale, discrète, presque oubliée, Hassan Youssefi pensait avoir trouvé la paix. Le calme. L’équilibre.
Il avait 46 ans, un homme d’apparence solide, au regard doux, qui portait sur son dos les stigmates d’un passé difficile mais qui s’était battu pour offrir un avenir à sa famille. Depuis vingt-quatre ans, il vivait en France. Un quart de siècle à apprendre la langue, à travailler, à tomber amoureux, à devenir père, à acheter une maison, à monter sa petite entreprise de ferraillage.
Mais ce matin de février 2025, Hassan ne se réveillera pas dans le lit conjugal, entre les murs chauds de leur foyer. Il se trouve à plus de 2 000 kilomètres de là, expulsé vers le Maroc, son pays natal qu’il n’avait pas revu depuis des années. Il y est arrivé ligoté, les chevilles attachées, un casque respiratoire sur le visage, selon les dires de sa compagne. Et surtout : Sans avoir pu dire au revoir à ses deux enfants de treize ans.
Une vie de famille paisible, brisée en silence
Catherine Gueth, sa compagne depuis plus de dix ans, n’a pas encore refermé la porte de la douleur. Elle vit aujourd’hui entre colère, désespoir et incompréhension. Ce jour-là, les gendarmes sont venus sans prévenir. Hassan a été arrêté, placé en rétention, puis expulsé en l’espace de quelques jours, sans que ni lui ni sa famille ne puisse réagir à temps.
« Il m’appelait tous les jours. Et puis d’un coup, plus rien. J’ai compris qu’il ne reviendrait pas. Qu’ils l’avaient pris. Qu’ils l’avaient déjà mis dans l’avion. »
Les enfants, eux, ne comprennent pas. Leur papa, qu’ils voyaient chaque soir en rentrant de l’école, n’est plus là. Il ne leur a même pas dit au revoir. Il n’a pas fermé la porte. Il n’a pas pris son manteau. Il n’a même pas laissé un mot.
Un passé judiciaire lourd… mais un présent tourné vers la réinsertion
Personne ne nie que Hassan a eu des ennuis avec la justice. Entre 2005 et 2023, il a été condamné à treize reprises, notamment pour des vols, des conduites sous l’emprise de stupéfiants, et d’autres délits mineurs. Au total, il a passé plus de six ans en détention.
Mais depuis sa dernière peine, il semblait avoir changé de vie. Il avait monté sa société, payé ses impôts, acheté une maison avec sa compagne, scolarisé ses enfants, obtenu un titre de séjour valide, et vivait sous les radars, sans faire de bruit.
Catherine le répète : « Il avait fait ses erreurs, mais il avait payé. Il avait tourné la page. Pourquoi le renvoyer maintenant, alors qu’il ne représente plus aucun danger pour la société ? »
Une loi récente et implacable : La CIAI de 2024
C’est dans le cadre de la loi du 26 janvier 2024, connue sous l’acronyme CIAI (Contrôler l’Immigration et Améliorer l’Intégration), que Hassan a été expulsé. Cette nouvelle législation permet une accélération drastique des procédures d’expulsion à l’encontre des étrangers condamnés pénalement, même s’ils sont en situation régulière.
La préfecture de Haute-Saône a estimé que ses antécédents judiciaires étaient incompatibles avec une intégration réussie, malgré ses efforts récents.
« Ce que la loi ne prend pas en compte, ce sont les années de stabilité, de travail, de famille. Hassan n’est pas un danger. Il est un père, un compagnon, un entrepreneur. Il a changé. Mais ça, l’administration ne veut pas le voir », souffle son avocate.
Une procédure contestée : L’ombre d’une illégalité
Me Anne-Sophie Mang, avocate de Hassan Youssefi, ne décolère pas. Pour elle, l’expulsion de son client est entachée d’une grave irrégularité.
« Une audience était en cours devant le tribunal administratif de Besançon. Mon client devait être entendu. Nous avions engagé des recours, présenté des arguments solides. Mais ni moi, ni le tribunal, n’avons été informés de sa mise en rétention. C’est contraire à la procédure. C’est une violation des droits fondamentaux », affirme-t-elle avec détermination.
Elle poursuit : « Ce n’est pas simplement une expulsion, c’est une déportation silencieuse, sans juge, sans débat, sans recours effectif. »
Un cas emblématique qui relance le débat sur les expulsions
Depuis la publication de cette affaire dans la presse locale puis nationale, les réactions se multiplient. Sur les réseaux sociaux, des voix s’élèvent pour dénoncer un traitement inhumain. D’autres soutiennent fermement la décision préfectorale, arguant qu’un homme condamné treize fois ne peut prétendre rester sur le territoire français.
Mais au cœur de la polémique, il y a une famille. Une femme en invalidité qui ne peut pas travailler. Deux enfants de treize ans qui ne dorment plus la nuit. Une maison qui semble vide, silencieuse, figée.
Et un homme, seul, démuni, dans un pays qu’il ne connaît plus, contraint de recommencer une vie à zéro alors qu’il venait de la reconstruire.
Un avenir incertain… et une bataille juridique à venir
Hassan, depuis le Maroc, appelle chaque jour. Il cherche une solution. Il espère pouvoir revenir. Me Mang poursuit les démarches, envisage de déposer un recours en responsabilité contre l’État pour manquement à une procédure régulière. Mais les chances sont maigres.
Catherine, elle, ne veut pas baisser les bras. Elle continue de raconter leur histoire, de contacter des journalistes, de réunir des soutiens. « Je me battrai pour lui. Pour nous. Pour que nos enfants sachent que leur père n’est pas un criminel. Il est un homme qui a trébuché. Mais il s’est relevé. »
Entre loi et justice, une ligne floue
Le cas d’Hassan Youssefi révèle toute la complexité des politiques migratoires françaises. Comment concilier sécurité publique et humanité ? Comment tracer la limite entre protection de l’ordre et respect des droits fondamentaux ? Quand la loi devient mécanique, ne risque-t-elle pas d’écraser des vies ?
Derrière les chiffres froids et les décisions administratives, il y a toujours des êtres humains. Des familles. Des histoires.
Et parfois, une simple erreur de procédure peut coûter bien plus qu’un aller simple vers un autre continent. Elle peut coûter une vie.