France Insoumise : après la rue, l’errance ? Les conséquences politiques d’un 22 mars raté

Comment l’extrême gauche s’est piégée elle-même en voulant dénoncer l’extrême droite

POLITIQUE

Le samedi 22 mars 2025 devait être une journée de mobilisation nationale. Des centaines de collectifs, des associations et des figures politiques engagées contre le racisme et l’extrême droite avaient appelé à descendre dans la rue. L’ambition ? Répondre à ce qu’ils perçoivent comme une montée en puissance de l’idéologie réactionnaire en France, incarnée, selon eux, par le Rassemblement National, mais aussi par des pans entiers du gouvernement actuel. Le mot d’ordre était clair, mais derrière ce vernis unificateur, une réalité bien plus trouble s’est dessinée.

Une colère fragmentée, un message flou

Dès 11 heures du matin, à Paris, les premiers cortèges commencent à s’élancer depuis la place de la Nation. Des pancartes multicolores s’élèvent : « Non au racisme », « Stop à l’extrême droite », « Liberté, égalité, antifa ». À première vue, rien que de très classique. Mais dans les rangs, une hétérogénéité frappante : Étudiants en lutte, syndicalistes CGT, collectifs queer radicaux, antifas vêtus de noir et casqués, représentants de LFI, mais aussi des militants venus de groupes plus obscurs, aux discours nettement plus violents.

Très vite, les premiers débordements éclatent. À Lyon, un cortège bloque un tramway et tague les façades de commerces. À Nantes, les forces de l’ordre sont prises à partie à coups de projectiles. À Rennes, c’est une vitrine de banque qui vole en éclats. À Paris, l’atmosphère est tendue, électrique, instable. Les cris de colère se mêlent à ceux, moins nombreux mais plus radicaux, qui appellent à la révolution et à « abattre l’État bourgeois ».

LFI au centre du cyclone

La France Insoumise, en la personne de ses députés et de Jean-Luc Mélenchon lui-même, était au premier rang. Mais leur présence n’a pas suffi à canaliser les tensions. Au contraire, certains manifestants ont directement interpellé les représentants LFI, accusés de « récupération politique ». D’autres, plus violents, ont refusé de défiler à leurs côtés, préférant se regrouper dans des cortèges « autonomes » où la logique de confrontation dominait.

« On est là pour en découdre », me confie un jeune homme cagoulé à Marseille. « Ce n’est pas en levant une pancarte que tu fais tomber le fascisme ». Ces propos sont loin d’être isolés. Ils traduisent un glissement inquiétant d’une partie de l’ultragauche vers une logique insurrectionnelle permanente, dans laquelle toute forme de structure, même radicale, est vue comme suspecte.

Une stratégie contre-productive

Le paradoxe est cruel : En tentant de dénoncer le danger d’extrême droite, les manifestations du 22 mars ont offert à leurs adversaires l’image rêvée du chaos militant. Les chaînes d’information en continu ont tourné en boucle sur les violences, les arrestations, les dégradations. Le message politique s’est noyé dans l’image d’une France désunie, hystérisée, où la gauche radicale semble incapable de proposer une alternative cohérente.

« Ils donnent des munitions à ceux qu’ils veulent combattre », analyse un politologue sur France Info. Et il n’a pas tort. Car pendant que les images de vitrines brisées défilaient, Marine Le Pen et Éric Zemmour dénonçaient une « extrême gauche qui terrorise les Français » et appelaient au rétablissement de l’ordre avec une fermeté renforcée.

Mélenchon en roue libre

Jean-Luc Mélenchon, lui, s’est montré fidèle à sa stratégie de provocation. Dans un tweet dès le lendemain, il écrivait : « La violence est dans les urnes, pas dans la rue ». Un message qui a suscité un tollé, jusque dans son propre camp. Plusieurs élus insoumis ont exprimé leur malaise, d’autres sont restés silencieux. L’image d’une LFI conquérante, capable de canaliser les colères populaires, a pris un sérieux coup.

Et surtout, la gauche de gouvernement – incarnée par les écologistes, le PS et quelques centristes humanistes – a pris ses distances, fustigeant des appels « flous et mal préparés », et des « dérives contre-productives ».

L’extrême gauche dans une impasse

La mobilisation du 22 mars aura donc eu un effet inattendu : Révéler au grand jour l’impasse stratégique dans laquelle s’enfonce l’extrême gauche. Incapable de s’unir, en proie à des contradictions internes profondes, elle donne l’image d’un mouvement fragmenté, violent, parfois même paranoïaque. Le tout dans un contexte où la société française est déjà traversée par des tensions multiples : Crise sociale, défi migratoire, sécurité, défiance vis-à-vis des institutions.

Les jours suivants, les retours sont implacables. Sur les réseaux sociaux, les critiques fusent. Des électeurs de gauche, pourtant convaincus, se disent « lassés » de la violence, « fatigués » de la récupération, « désabusés » par l’attitude de certains leaders. Des voix s’élèvent pour réclamer une autre forme de militantisme, plus constructive, plus intelligente, moins brutale.

Et maintenant ?

L’extrême gauche a-t-elle signé sa propre marginalisation ? Le 22 mars restera peut-être dans l’histoire politique récente comme un tournant. Non pas celui d’une prise de conscience collective, mais celui d’une rupture entre une partie du peuple de gauche et ses représentants les plus radicaux. Le danger, désormais, est double : D’un côté, une extrême droite qui engrange les points dans les sondages, et de l’autre, une extrême gauche qui s’enfonce dans la provocation sans débouché.

La démocratie, elle, vacille entre ces deux pôles. Et le peuple français regarde, parfois incrédule, parfois indifférent, souvent inquiet.

France Insoumise : Après la rue, l’errance ? Les conséquences politiques d’un 22 mars raté

Le 22 mars 2025 pourrait bien rester comme une date symbolique. Non pas celle de la reconquête politique, mais celle du basculement. Ce samedi-là, la France Insoumise, persuadée de réaffirmer son rôle central dans la contestation sociale, a surtout montré son incapacité à se renouveler, à rassembler, à incarner une alternative crédible. Et les conséquences, à moyen terme, risquent d’être lourdes.

Jean-Luc Mélenchon : La fin d’un cycle

Il faut le reconnaître : Jean-Luc Mélenchon, figure tutélaire de LFI, a marqué la vie politique française depuis plus de quinze ans. Mais depuis quelques mois, les signes d’un essoufflement se multiplient. Moins présent à l’Assemblée, plus virulent sur les réseaux sociaux, il donne le sentiment d’un chef de guerre fatigué, enfermé dans une logique de confrontation permanente.

Le 22 mars a cristallisé ce malaise. Son tweet polémique, ses silences embarrassés face aux violences, sa rhétorique de plus en plus martiale… Tout cela donne l’impression d’un homme politique figé dans les années 2017-2018, incapable de s’adapter aux nouvelles attentes des électeurs, surtout des plus jeunes. Beaucoup, pourtant séduits par son verbe par le passé, se détournent aujourd’hui, lassés d’une stratégie qui tourne en boucle.

Une rupture avec l’électorat modéré de gauche

C’est là l’un des effets les plus redoutables du 22 mars : La rupture de confiance avec l’électorat de gauche modéré. Celui qui vote parfois PS, parfois EELV, qui avait soutenu la NUPES avec espoir, et qui regarde désormais LFI avec méfiance. Ce ne sont pas les slogans antifascistes qui posent problème, mais leur forme, souvent excessive, parfois haineuse, souvent vide de perspective.

Des enseignants, des fonctionnaires, des travailleurs sociaux – autant de professions qui formaient autrefois le socle électoral de Mélenchon – se disent aujourd’hui perdus. Les débordements de la manifestation les ont choqués. La complaisance affichée vis-à-vis des violences urbaines les a désorientés. Ils réclament un retour à une gauche plus structurée, plus sociale, moins idéologique.

Une stratégie de l’outrance qui isole

Depuis plusieurs années, LFI a fait le pari de l’outrance. De la colère constante. De la posture tribunicienne contre « le système », les médias, les juges, la police, l’Europe, les élites. Ce positionnement a certes permis de mobiliser une base militante solide, mais il a aussi considérablement restreint les marges de manœuvre politiques du mouvement.

Le 22 mars l’a illustré : Aucun autre grand parti de gauche n’a réellement soutenu la manifestation. Le PS a pris ses distances. EELV a exprimé son malaise. Le PCF est resté muet. Même les syndicats les plus combatifs ont refusé de s’associer aux cortèges. Résultat : LFI s’est retrouvée seule, ou presque, au cœur d’un événement qu’elle voulait national.

Des tensions internes de plus en plus vives

Les répercussions ne se feront pas sentir uniquement à l’extérieur. En interne, la manifestation du 22 mars a déjà ravivé des tensions latentes. Plusieurs députés de LFI, jeunes et issus de milieux plus institutionnels, remettent en cause la ligne dure de Mélenchon. Ils dénoncent en privé l’influence d’un noyau militant ultraradical qui pousse le mouvement vers une forme de sectarisme idéologique.

On parle désormais ouvertement de fracture. Deux camps s’opposent : Les « mélenchonistes historiques », fidèles à la ligne de rupture, et les « reconstructeurs », plus pragmatiques, soucieux de redonner à LFI une crédibilité électorale. Cette guerre de tranchées pourrait dégénérer, à l’approche des élections européennes de 2026.

Le spectre de l’implosion

À moyen terme, si rien ne change, LFI pourrait connaître le même sort que d’autres mouvements radicaux dans l’histoire politique française : La marginalisation, puis la division. Ce ne serait pas la première fois. Du PSU dans les années 70 aux Verts des années 2000, la gauche radicale paie souvent son incapacité à faire cohabiter radicalité et stratégie.

D’autant que le calendrier électoral ne joue pas en faveur de LFI. Les élections européennes seront un test. Puis viendront les municipales, les législatives, et peut-être une présidentielle sans Mélenchon. Qui pour incarner la relève ? Clémentine Autain ? François Ruffin ? Manuel Bompard ? Aucun ne fait l’unanimité. Tous semblent enfermés dans une structure où le chef reste omniprésent… même absent.

Une opportunité pour les autres forces de gauche ?

L’échec de LFI pourrait paradoxalement redonner de l’espace aux autres forces de gauche. EELV, affaibli mais toujours présent, pourrait séduire les électeurs écologistes désabusés. Le PS, moribond mais en reconstruction, espère capitaliser sur le rejet de la radicalité. Quant au PCF, il joue la carte du local et du terrain, en attendant mieux.

Mais rien n’est écrit. Tout dépendra de la capacité de la gauche à se réinventer. L’échec du 22 mars est aussi un signal d’alarme : Le peuple de gauche réclame autre chose. Une ligne claire, un projet lisible, un cap rassembleur. Pas des invectives. Pas des violences. Pas des slogans vides.

Une page se tourne ?

Il est encore trop tôt pour dire si le 22 mars marquera la fin de la France Insoumise. Mais une chose est sûre : Un cycle s’achève. Celui d’une gauche radicale conquérante, capable de parler à toute la jeunesse, aux quartiers populaires, aux intellectuels, aux ouvriers, aux enseignants. Aujourd’hui, LFI parle surtout à elle-même. Et le reste de la France l’écoute de moins en moins.

Vers les élections européennes : La gauche face à son éclatement après le 22 mars

Le 22 mars a laissé des traces. Non seulement sur les pavés des grandes villes françaises, marqués par les slogans tagués à la hâte, mais surtout dans les esprits. Chez les électeurs de gauche, l’amertume domine. Chez les responsables politiques, c’est la panique feutrée d’un échiquier qui se recompose sans plan. Et dans cette brume post-manifestation, un objectif se dessine à l’horizon : Les élections européennes de 2026, rendez-vous à haut risque pour une gauche plus divisée que jamais.

Une NUPES en ruine

La NUPES, cette coalition hétéroclite née en 2022 sous l’impulsion de Jean-Luc Mélenchon, est aujourd’hui à bout de souffle. Si elle avait permis de sauver quelques bastions aux législatives, son fonctionnement s’est rapidement grippé. LFI imposait sa ligne dure, le PS tentait de survivre, EELV jouait les équilibristes, et le PCF se méfiait de tout le monde.

Le 22 mars a signé, de facto, la fin de la NUPES en tant qu’outil électoral commun. Aucun cadre socialiste, écologiste ou communiste ne veut revivre la séquence du week-end de chaos. « On ne peut plus être associés à ce genre de débordements », confiait un sénateur PS sous couvert d’anonymat. Résultat : Chaque parti planche déjà sur sa propre liste, dans la plus pure tradition française du « chacun pour soi ».

LFI : Vers une liste d’orgueil

Du côté de la France Insoumise, l’heure est à la résistance. Malgré les critiques internes et les appels à l’ouverture, la ligne dominante reste fidèle au style Mélenchon : Une liste autonome, combative, clivante. Le nom de Manuel Bompard circule pour la tête de liste, voire celui de Sophia Chikirou, très proche de Mélenchon. Mais le cœur n’y est plus. Les dernières enquêtes d’opinion post-22 mars créditent LFI de moins de 7% d’intentions de vote, un score catastrophique.

Dans les coulisses, certains stratèges redoutent un naufrage électoral qui isolerait encore davantage le mouvement, en le réduisant à une force protestataire incapable d’exister autrement que dans la rue.

EELV et PS : Les retrouvailles forcées ?

De leur côté, les écologistes d’EELV et les socialistes du PS discutent à nouveau. Longtemps rivaux, souvent moqueurs l’un envers l’autre, ils sont désormais contraints par la nécessité : Faire front commun ou disparaître dans l’ombre de LFI… ou du RN.

Un projet de liste unitaire PS-EELV-PCF est donc à l’étude. Elle serait menée par une figure consensuelle – on évoque Raphaël Glucksmann, déjà candidat en 2019, ou l’écologiste Marie Toussaint. L’objectif : Reconquérir un électorat modéré, européen, républicain, lassé des outrances insoumises.

Mais les blessures de la NUPES ne sont pas encore refermées. Beaucoup de militants socialistes refusent de se mêler à EELV, qu’ils accusent d’avoir trop cédé aux diktats de LFI ces dernières années. À l’inverse, certains écologistes redoutent de se diluer dans une vision « sociale-démocrate à l’ancienne », peu en phase avec les préoccupations climatiques actuelles.

Et les autres ?

En marge, quelques initiatives indépendantes émergent. Des collectifs citoyens, des mouvements féministes, des listes de jeunes engagés, des partis régionalistes… Chacun espère grappiller quelques voix dans un électorat déboussolé. Mais ces micro-candidatures risquent de fragmenter encore davantage le score global de la gauche.

À l’extrême gauche, le NPA et Lutte Ouvrière préparent eux aussi leur campagne, refusant catégoriquement toute alliance. Ils espèrent incarner une contestation « pure » du capitalisme, loin des compromissions de LFI. Mais leur audience reste confidentielle.

Un boulevard pour le Rassemblement National

Pendant ce temps, Marine Le Pen et Jordan Bardella se frottent les mains. Ils n’ont même pas besoin de forcer le trait : Les images du 22 mars, les disputes internes à gauche, les déclarations incendiaires de Mélenchon… tout cela alimente leur discours. Les sondages placent déjà le RN largement en tête des intentions de vote pour 2026, entre 28 et 31%, bien devant Renaissance, reconduite par le camp présidentiel.

Sans une gauche unie et crédible, la France risque donc d’envoyer une majorité de députés RN au Parlement européen. Un scénario inimaginable il y a dix ans, devenu plus que probable.

Vers une recomposition après la défaite ?

Ironie de l’histoire : Ce sont peut-être les européennes, justement, qui provoqueront la recomposition tant attendue de la gauche française. Une défaite cinglante de LFI pourrait précipiter la fin de l’ère Mélenchon. Une victoire relative d’une liste PS-EELV ouvrirait la voie à une refondation progressiste, moins radicale, plus lisible.

Des figures émergentes, comme François Ruffin, Clémentine Autain ou Fabien Roussel, pourraient jouer un rôle central. Mais pour cela, il faudra accepter de reconstruire sur des bases nouvelles, loin des affrontements idéologiques stériles, et surtout loin des erreurs stratégiques du 22 mars.

Un scrutin de vérité

Les élections européennes de 2026 seront bien plus qu’un scrutin européen. Ce sera un test grandeur nature pour toute la gauche française. Une épreuve de vérité. Un miroir tendu à une famille politique qui ne parvient plus à parler d’une seule voix.

Si elle échoue à se réinventer, elle disparaîtra progressivement du paysage politique national. Mais si, dans le chaos laissé par LFI, émerge un nouveau souffle – clair, rassembleur, ancré dans le réel –, alors peut-être la gauche aura encore un avenir. Un avenir sans 22 mars.

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