Rites funéraires et inégalités de genre : quand dire adieu devient un privilège masculin, la douleur se double d’un sentiment d’humiliation.

Funérailles musulmanes : Pourquoi les femmes sont-elles tenues à l’écart, même quand il s’agit de leur propre fille ?

CHOC

« Une dernière séparation » — Témoignage de Nathalie, belle-sœur d’une défunte convertie à l’islam

Jeudi dernier, sous un ciel d’un bleu impassible, j’ai vécu l’un des moments les plus douloureux et les plus déroutants de ma vie : L’enterrement de ma belle-sœur Claire, morte à 38 ans après une maladie fulgurante. Claire, c’était une femme solaire. Forte, indépendante, joyeuse. Il y a six ans, elle avait choisi de se convertir à l’islam, par amour et conviction. Un choix que nous avions respecté, même si certains dans la famille n’avaient jamais tout à fait compris cette décision.

Mais personne n’était préparé à ce que nous allions vivre ce jour-là.

Devant la mosquée, la première barrière

La cérémonie devait débuter dans une grande mosquée de la banlieue parisienne. Claire, selon ses volontés, devait être honorée selon le rite musulman. Sa dépouille fut transportée dans un corbillard sobre, drapée d’un linceul blanc. Devant l’entrée principale, une séparation brutale : Les hommes entraient d’un côté, les femmes devaient se faufiler par une petite porte latérale, débouchant dans une salle séparée.

Sa propre mère n’a pas eu le droit d’entrer avec le cercueil.

Elle n’a pas vu sa fille une dernière fois, n’a pas pu poser la main sur le linceul, ni murmurer un au revoir. Aucun regard. Aucune présence symbolique. Rien.

Une enceinte grésillante diffusait les prières depuis la salle principale, où seuls les hommes étaient autorisés. La salle des femmes, froide et impersonnelle, était plus une salle d’attente qu’un lieu de recueillement. Nous n’avions pas notre place. C’est ainsi que je l’ai ressenti.

Des vêtements pour entrer : Voile islamique obligatoire, pantalons larges exigés

Avant même de pouvoir franchir la porte, une femme nous avait averties : Pas de jupe, pas de manches courtes, et voile islamique obligatoire. Certaines n’étaient pas venues habillées ainsi, évidemment. Il a fallu distribuer des foulards, se couvrir à la hâte. Une tante de Claire, en pleurs, a été refoulée. Une autre a dû emprunter un pantalon trop grand pour pouvoir entrer.

Nous n’étions pas là pour faire offense. Nous étions là pour pleurer.

Mais tout, dans cette mise en scène rigide, nous faisait comprendre que nous étions de trop.

Au cimetière, les femmes à distance

Le cortège s’est déplacé vers le cimetière. Là encore, un monde s’est érigé entre les sexes. Les hommes ont porté le cercueil. Ils l’ont descendu dans la terre. Ils ont récité les prières autour du caveau, formant un cercle fermé, compact, impénétrable. Nous, les femmes, nous étions derrière la grille, à vingt mètres, comme des spectatrices anonymes.

La mère de Claire — sa mère ! — n’a pas eu le droit de jeter une poignée de terre. Elle est restée droite, dignement brisée, les yeux perdus dans le vide. Aucun imam, aucun responsable religieux ne s’est tourné vers elle. Pas une parole. Pas un mot pour reconnaître sa peine de mère.

Un adieu confisqué

Ce n’est qu’après la cérémonie que l’une des femmes de la communauté nous a doucement expliqué : « Ce n’est pas contre vous, ce sont les règles. Les femmes ne doivent pas perturber la prière. Elles doivent rester à l’écart du cercueil. »

Mais comment une mère pourrait-elle perturber les funérailles de sa propre fille ?

Cette séparation ne nous a pas protégées. Elle nous a blessées.

Et si elle avait su ?

Depuis, une question m’obsède. Si Claire avait su qu’au moment de sa mort, sa propre mère serait tenue à distance, ignorée, reléguée à une salle secondaire, aurait-elle maintenu son choix ? Aurait-elle accepté que celles qui l’ont aimée sans condition soient ainsi rejetées par le cadre religieux qu’elle avait adopté ?

Je ne peux pas répondre à sa place. Mais je doute.

Une cérémonie qui exclut l’amour maternel est-elle juste ?

Cette expérience m’a brisée. Pas seulement parce que j’ai perdu une belle-sœur que j’aimais profondément. Mais parce que j’ai vu une mère interdite de dire adieu à sa fille. Parce que j’ai vu des femmes humiliées, repoussées, tenues pour indésirables dans un moment d’extrême douleur.

La religion, quelle qu’elle soit, devrait élever. Pas diviser.

Et un adieu n’est jamais impur.

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