En pleine crise sociale, des collectivités locales refusent d’appliquer une hausse du RSA. Pourquoi ce refus ? Enquête exclusive sur MyJournal.fr.

Pourquoi certains départements refusent-ils d’appliquer la hausse du RSA malgré les obligations de l’État ?

FINANCE

Il était un temps où les revalorisations sociales étaient accueillies comme des éclaircies dans l’existence grise de nombreux citoyens. Pour Margaux, 34 ans, mère isolée de deux enfants à Quimper, le 1er avril 2025 était une date qu’elle avait soigneusement entourée de rouge sur le calendrier aimanté du frigo. Ce jour-là, le Revenu de Solidarité Active (RSA) devait être revalorisé de 1,7%, une modeste hausse, certes, mais suffisante pour lui permettre d’acheter un cartable neuf à son fils en classe de CE2. Du moins, le pensait-elle.

Car quelques jours avant l’échéance, l’annonce tombe comme une claque dans le silence du petit matin : Plusieurs départements dirigés par la droite et le centre refusent d’appliquer la hausse du RSA. Une décision qui fait tâche d’huile sur l’ensemble du territoire français. Dans une lettre commune, 72 départements, regroupés sous la bannière « Droite, Centre et Indépendants« , adressent un message clair à l’État : Ils ne verseront pas cette revalorisation.

« Encore une promesse qu’on nous fait miroiter sans qu’elle n’arrive jamais dans notre réalité« , murmure Margaux en découpant la recette de lasagnes à bas prix du dernier prospectus. Elle ne comprend pas. Et elle n’est pas la seule. Comment est-ce possible qu’une décision nationale puisse être ainsi contournée ?

La réponse se trouve dans les trésoreries à sec des conseils départementaux. Depuis des mois, les collectivités locales alertent sur une asphyxie financière croissante. La charge du RSA, historiquement partagée entre l’État et les départements, est devenue, selon leurs présidents, un fardeau que Paris leur impose sans compensation.

Jean-Michel Billaut, président du conseil départemental de la Charente, est l’un de ceux qui ont brandi le carton rouge. « Le gouvernement décide, les départements paient. Ce n’est plus tenable. » Pour lui, l’augmentation de 1,7% du RSA représente plusieurs millions d’euros supplémentaires sur l’année. « Qu’on nous rende les moyens avant de nous demander des efforts. »

Mais pour les allocataires, cette joute institutionnelle a un goût amer de trahison. Margaux n’est pas la seule à se sentir abandonnée. Ahmed, 58 ans, ancien chauffeur routier devenu invalide, vit dans le département du Loiret. « J’ai déjà honte de dépendre de l’aide sociale. Mais maintenant, on me dit que cette aide n’est plus assurée selon où je vis ? C’est une injustice. »

Les collectivités locales s’appuient sur un argument de poids : L’absence de compensation. En clair, l’État impose des hausses ou des réformes, mais les budgets locaux, eux, ne suivent pas. Le coût du RSA est estimé à plus de 10 milliards d’euros annuels pour les départements, dont une partie croissante n’est plus remboursée. « Nous refusons toute nouvelle dépense qui ne serait pas financée par l’État », stipule la lettre commune envoyée à Matignon.

Catherine Vautrin, ministre du Travail et des Solidarités, tente de calmer le jeu. Elle convoque un comité des financeurs, promet une écoute accrue, mais rien n’y fait. Le fossé semble trop profond. Depuis la crise du COVID, les départements ont vu exploser leurs charges : Aide sociale à l’enfance, personnes handicapées, personnes âgées… et dans le même temps, leurs recettes fondent comme neige au soleil.

Cette fronde, inédite par son ampleur, touche donc les plus fragiles. Sur les réseaux sociaux, des témoignages déferlent. Des bénéficiaires du RSA, dans le Cantal, l’Orne, les Deux-Sèvres, rapportent le refus d’application de la hausse. Certains disent ne plus avoir confiance en personne. D’autres, plus fatalistes, s’en accommodent. « Le RSA, c’est comme une bouée ébréchée. On flotte, mais on n’avance pas », résume sobrement Sabrina, 29 ans, en Seine-et-Marne.

Derrière les déclarations politiques, c’est un modèle de solidarité qui vacille. L’État peut-il continuer à imposer ses décisions aux collectivités sans les doter de moyens ? Les départements peuvent-ils se permettre de faire de la résistance au risque de délaisser les plus démunis ?

Ce bras de fer est plus qu’un conflit budgétaire. Il est le symptôme d’une France à deux vitesses : Celle des grandes idées de la solidarité nationale, et celle du quotidien, où les caisses se vident plus vite que les discours ne rassurent.

Et Margaux, en repliant le calendrier du frigo, comprend que le 1er avril 2025 ne sera pas le début d’un mieux. Juste un autre jour de promesse non tenue, un de plus, dans une vie où l’on se bat pour chaque centime.

Mais elle refuse de baisser les bras. Car tant qu’elle continue à poser des questions, tant qu’elle continue à croire que la justice sociale n’est pas un rêve oublié, alors peut-être que demain, le RSA ne sera plus une variable d’ajustement politique. Mais un droit, réel et égal, pour tous.

Laisser un commentaire