Éléonore : « Mon fils de 16 ans a fait une bêtise. Devrais-je craindre qu’il soit jugé comme un adulte, enfermé, brisé, avant même d’avoir compris ce qu’il a fait ? »
Le 19 juin 2025 restera une date clef pour tous les défenseurs du droit des mineurs en France. Alors que le climat sécuritaire et politique pousse depuis des mois à un durcissement général de la réponse pénale, le Conseil Constitutionnel a tranché : On ne juge pas un enfant comme un adulte, même s’il a 16 ans, même s’il récidive, même s’il commet un acte grave.
Dans le huis clos d’une petite salle aux murs boisés, à Paris, neuf sages ont dit non. Non à une réforme portée tambour battant par le gouvernement Attal. Non à une justice trop expéditive pour les mineurs. Non à l’effacement progressif des principes fondateurs de l’ordonnance de 1945. Cette réforme de la justice des mineurs — surnommée à tort ou à raison “loi Attal” — a été largement censurée. Et cette décision, au-delà du juridique, raconte aussi l’état moral d’un pays qui cherche, parfois dans la panique, à responsabiliser la jeunesse comme on punirait un adulte.
Un projet de loi ultra-répressif
Tout commence à la suite des émeutes de l’été 2023. Dans les colonnes des journaux et sur les plateaux télé, un mot revient en boucle : L’impunité. Des mineurs saccagent, volent, brûlent. L’émotion est nationale. Alors, Gabriel Attal, devenu Premier ministre, veut envoyer un signal fort. Il fait adopter le 19 mai 2025 une réforme visant à aligner la justice des mineurs sur celle des majeurs dans certaines conditions.
Les mesures votées par l’Assemblée Nationale sont lourdes de conséquences :
- Les mineurs de 16 ans récidivistes peuvent désormais passer en comparution immédiate, comme les adultes.
- La procédure d’audience unique est instaurée : Plus de distinction entre la reconnaissance de culpabilité et la décision sur la peine.
- L’excuse de minorité – Cette règle qui diminue les peines pour les moins de 18 ans – devient optionnelle, non plus automatique.
- Les jeunes contrevenants peuvent être placés en rétention pendant 12 heures, par décision d’un simple officier de police judiciaire, sans avis préalable du juge des enfants.
Dans les rangs de l’exécutif, on parle de “modernisation”, “efficacité”, “fermeté”. Du côté des magistrats, éducateurs, et avocats, c’est l’effroi.
La réponse des Sages
Le Conseil Constitutionnel, saisi par 60 députés de gauche et plusieurs associations, a rendu sa décision. Et c’est un revers cinglant pour le gouvernement. Trois points sont au cœur de cette censure quasi totale :
👉 1. L’audience unique déclarée inconstitutionnelle
Le Conseil rappelle un principe fondamental reconnu par les lois de la République : Les mineurs doivent bénéficier d’une justice adaptée, distincte de celle des majeurs. L’audience unique, qui mélange rapidité et absence de réflexion éducative, est rejetée.
👉 2. L’attaque contre l’excuse de minorité retoquée
La suppression de l’automaticité de l’excuse de minorité pour les mineurs de 16 à 18 ans récidivistes est contraire au droit constitutionnel. Le juge ne peut être contraint par une logique répressive. Le mineur, même dur, même violent, reste un mineur, souligne la juridiction.
👉 3. La rétention de 12 heures sans contrôle jugée arbitraire
Permettre à un OPJ de retenir un adolescent sans autorisation judiciaire constitue une violation grave des droits fondamentaux. Le juge des enfants doit rester le garant du processus.
Une claque politique pour Attal
Pour Gabriel Attal, cette décision est un échec cuisant. Il en avait fait un étendard politique. Cette réforme, il l’avait personnellement défendue dans les médias, brandissant les chiffres de la délinquance juvénile comme une menace croissante. Mais le Conseil Constitutionnel, en protecteur des principes républicains, a refusé de plier.
Dans les milieux juridiques, la décision a été saluée. “C’est une victoire pour l’état de droit et pour la jeunesse”, a déclaré maître Dominique Attias, ancienne vice-bâtonnière de Paris. Du côté des syndicats de magistrats, le soulagement est palpable : “On ne peut pas faire de la politique pénale à chaud sur le dos des adolescents.”
Une justice qui protège, pas qui punit à tout prix
La justice des mineurs n’est pas née par hasard. L’ordonnance de 1945, même remaniée, a toujours affirmé que le jeune en conflit avec la loi doit d’abord être accompagné, rééduqué, sauvé si possible. La peine, quand elle tombe, doit être adaptée, proportionnée, individualisée.
Dans un pays où l’émotion guide trop souvent la loi, la décision du 19 juin 2025 est un rappel fondamental : L’âge n’est pas qu’un chiffre. C’est un cadre juridique. Et un cadre humain.
Et maintenant ?
Cette censure ne signifie pas que rien ne changera. Mais elle force l’exécutif à revenir au dialogue, à la construction lente, à l’écoute des éducateurs, des magistrats, des familles. Si réforme il doit y avoir, elle devra respecter ce que la République a toujours reconnu : On ne juge pas un mineur comme un adulte, parce qu’il n’est pas un adulte.