« Est-il encore possible de croire en l’amour sincère lorsque tout semble l’accuser d’arrière-pensées ? Moi, Clotilde, j’ai lu cette histoire improbable d’une militante du RN de 76 ans qui a épousé un sans-papiers tunisien de 30 ans, et je me demande : Jusqu’où peut aller le cœur humain quand il défie les lois, les partis, et les qu’en-dira-t-on ? »
Montpont-en-Bresse. À l’orée de cette petite commune de Saône-et-Loire, là où les volets se ferment tôt et où les secrets se chuchotent derrière les haies, une cérémonie a secoué le silence provincial avec la force d’un orage en plein mois d’août. Danielle, 76 ans, militante acharnée du Rassemblement National depuis plus de vingt ans, a dit « oui » à Fadi, 30 ans, Tunisien sans-papiers, en situation irrégulière en France.
Un mariage. Une simple signature au bas d’un registre. Mais un séisme dans une région où l’immigration est un sujet brûlant, où les affiliations politiques sont des marques identitaires, presque tribales. Et surtout, où l’on connaît Danielle. Depuis longtemps.
Une rencontre virtuelle, un coup de foudre réel
Tout commence en 2019. Danielle, veuve depuis près de dix ans, passe de longues soirées à discuter sur Facebook. C’est là qu’elle croise le regard doux et les mots prudents de Fadi. Lui est à Tunis, lui aussi seul, rêveur, et en quête d’un ailleurs. Très vite, les échanges deviennent quotidiens. Ils parlent cuisine, traditions, politique — oui, même ça. Et malgré leurs opinions diamétralement opposées, une forme d’attachement s’installe. Insidieuse, puis tenace.
En 2021, Danielle prend un billet. À 72 ans, elle s’envole pour Tunis. Elle qui n’a jamais pris l’avion seule découvre un homme doux, cultivé, prévenant. L’amour, croit-elle, est au rendez-vous. Pour Fadi aussi. C’est ce qu’il lui dit. Ce qu’il lui écrit. Ce qu’il lui prouve, selon elle.
Un amour que la République ne voulait pas bénir
De retour en France, Danielle entame les démarches pour le faire venir. En 2023, Fadi franchit la Méditerranée clandestinement. Il se cache, vit chez Danielle, en toute illégalité. Et ils déposent un dossier de mariage en Mairie.
Mais en face, la Maire de Montpont-en-Bresse, Anne Trontin, refuse de signer. Elle suspecte un mariage blanc. Une suspicion renforcée par la différence d’âge — 46 ans — et le passé politique de Danielle. Elle saisit le Procureur de la République.
Celui-ci enquête. Vérifie. Interroge. Mais aucune preuve formelle de fraude. La loi est formelle : En l’absence d’irrégularité manifeste, le mariage doit être célébré.
Cérémonie sous tension, village en émoi
Le 29 mars 2025, la salle des mariages est pleine. Pas de fleurs. Pas de chants. Des journalistes, des élus, des curieux. Le député Éric Michoux, venu en soutien à la Maire, s’affiche en retrait mais regard noir. La Maire, contrainte, célèbre l’union « contre son gré », selon ses propres mots. Danielle sourit. Fadi regarde le sol.
Des murmures traversent l’assemblée. « C’est un coup monté« , « Elle veut juste qu’il ait des papiers« , « Et elle milite au RN en plus !«
Danielle, droite comme un chêne, murmure à ceux qui veulent bien l’écouter : « Je l’aime. Il m’aime. C’est tout ce qui compte. »
Les contradictions d’un amour en désaccord avec soi-même
Car oui, Danielle n’a jamais renié son engagement au RN. Elle continue de recevoir les tracts. Elle vote Jordan Bardella. Et selon ses dires, Fadi partage plusieurs de ses idées, notamment sur la sécurité et le communautarisme. Elle le dit sans ciller : « Il est pour l’intégration. Il ne veut pas vivre comme s’il était ailleurs. C’est un vrai patriote. »
Les contradictions sont légion. Les critiques pleuvent. À gauche, on parle d’ »instrumentalisation affective« . À droite, on crie à la « trahison idéologique« . Danielle n’écoute pas. Fadi reste discret, fuyant les caméras, fuyant même parfois les gens. Mais il est là.
Et maintenant ? Une vie à construire sous le regard de tous
Ce mariage ne leur garantit rien. Pas encore. Fadi reste en situation irrégulière tant qu’il ne régularise pas par vie commune durable. Une procédure qui prendra des mois. Des années peut-être. Pendant ce temps, Danielle continue de défendre son amour, comme on défend une cause perdue d’avance.
« Je sais ce qu’on dit. Je les entends. Mais j’ai vécu assez longtemps pour savoir ce qui est vrai. Ce garçon-là ne m’a jamais menti. »
Et si elle s’est trompée ? Et si Fadi disparaissait dans la nature une fois ses papiers obtenus ? Elle hausse les épaules : « Ce sera mon erreur. Pas la vôtre. Laissez-moi vivre ce qu’il me reste à vivre avec dignité. »
L’amour est-il soluble dans la politique ?
Cette histoire pose une question que peu osent poser à voix haute : L’amour peut-il exister quand tout l’accuse d’être un mensonge ?
Danielle et Fadi, qu’on les aime ou qu’on les déteste, incarnent ce paradoxe. Entre passion sincère et soupçons persistants, entre loi républicaine et morale villageoise, ils tracent leur chemin, à contre-courant. Dans un monde où l’on range les sentiments dans des cases idéologiques, leur union dérange. Peut-être parce qu’elle nous rappelle que l’être humain est complexe, changeant, contradictoire. Et que parfois, même chez les plus convaincus, le cœur prend le pas sur le dogme.