Sonia s’interroge, troublée par le tumulte naissant : « Un député peut-il, au nom de la sincérité, glisser malgré lui dans la zone grise de la publicité illégale, au risque de brouiller les frontières entre engagement politique et promotion privée ? »
Quand la frontière entre la gratitude personnelle et la publicité s’efface
Le soleil frappait fort ce jour-là à Oran. Dans le véhicule climatisé qui serpentait les rues animées de la ville algérienne, Sébastien Delogu affichait un sourire sincère. Le député Insoumis, élu des Bouches-du-Rhône et figure populaire de La France Insoumise, était en vacances avec sa famille. Rien d’officiel, aucune mission parlementaire en cours. Juste un voyage personnel, humain, presque intime, organisé par une société touristique locale nommée DZ Escape. Jusque-là, tout allait bien.
Mais une vidéo allait changer la donne.
Assis dans le véhicule de la conciergerie, Sébastien Delogu s’adresse à la caméra. Il remercie chaleureusement ses hôtes algériens : « Je suis venu en Algérie et j’ai été très très très bien pris en charge par cette compagnie. Ils ont été là de A à Z… je ne vous oublierai jamais ». Une vidéo de quelques secondes, filmée à la volée, comme un geste de reconnaissance. Rien de politique, à première vue. Mais c’est cette même vidéo, diffusée sur les réseaux sociaux par DZ Escape sans son autorisation, qui déclenchera une polémique nationale.
Les réseaux s’enflamment : “Promotion illégale” ?
La vidéo, aussitôt postée sur Instagram par l’entreprise, fait rapidement le tour des réseaux. Et les premières critiques pleuvent. Des internautes s’étonnent : “Un député de la République a-t-il le droit de promouvoir une société privée ?” Un autre va plus loin : “C’est interdit ! Un parlementaire ne peut pas faire de publicité, c’est la base de la déontologie”.
Et les commentateurs ont raison sur un point : L’article 4 du code de déontologie de l’Assemblée Nationale est clair. Il stipule que « les députés s’abstiennent de toute publicité commerciale, promotion de marque ou usage de leur fonction à des fins privées ».
Sébastien Delogu, dont les prises de parole médiatiques ne sont jamais neutres, se retrouve alors dans la tourmente. DZ Escape, tentant de calmer le jeu, supprime rapidement la vidéo et explique qu’il s’agissait « d’un simple message de remerciement », destiné aux employés. Pas de contrat, pas d’accord financier, rien de prémédité. Mais le mal est fait. La vidéo est capturée, partagée, viralisée. Le doute s’installe.
Un député Insoumis sous pression
Dans son entourage, on tempère. Delogu n’a pas publié la vidéo sur ses propres réseaux. Il n’a signé aucun partenariat. Il n’a, selon lui, rien à se reprocher. D’autant plus qu’il ne s’agit pas de la première fois que le député se rend en Algérie. Il entretient un lien particulier avec le pays, ses habitants, et a même été reçu à plusieurs reprises par des responsables locaux ou associatifs.
Mais en plein été 2025, alors que la tension entre la France et l’Algérie demeure palpable, ce genre d’affaire ne passe pas inaperçu. Delogu est connu pour ses prises de position tranchées : Il s’affiche régulièrement comme défenseur des peuples, fervent soutien de la Palestine, et critique assumé de l’impérialisme occidental.
Pour ses détracteurs, ce voyage prend un tout autre sens. Certains y voient un acte militant déguisé, une manière de soutenir implicitement les autorités algériennes, en valorisant les services locaux. D’autres dénoncent une forme de clientélisme électoral, visant à séduire l’électorat franco-algérien de Marseille.
Le flou juridique autour de la notion de publicité
Alors, s’agit-il vraiment d’une publicité interdite ? Ou simplement d’un remerciement sincère, pris hors contexte ?
Le juriste Jean-Philippe Derosier, interrogé par plusieurs médias, rappelle qu’un élu peut tout à fait s’exprimer librement lors de ses voyages privés. Mais il nuance : « Dès lors qu’il y a mention explicite d’une entreprise, d’un service, et que cela peut profiter commercialement à une entité, il faut s’interroger sur la légitimité et la compatibilité avec la fonction de député. »
Même si Delogu n’a pas touché un centime, même s’il n’a rien demandé, le simple fait que l’entreprise ait utilisé son image et ses propos à des fins promotionnelles suffit à poser problème.
La défense de Delogu : “Une polémique montée de toutes pièces”
Face à la tempête, Delogu monte au créneau. Sur BFMTV, il déclare :
« Il n’y a eu aucune contrepartie. Ce sont des gens qui m’ont aidé, qui m’ont fait découvrir leur pays. Je les ai remerciés, c’est tout. »
Il affirme également qu’il n’a jamais donné son accord pour la diffusion publique de la vidéo, qu’il pensait simplement enregistrée à titre privé. Dans son style caractéristique, il évoque une tentative de “salir” son image, et s’en prend aux “cabinets de communication de droite” qui chercheraient à l’atteindre.
Quant à DZ Escape, elle publie un communiqué sobre, insistant sur “le respect du client” et la “volonté de ne nuire à personne”.
Un précédent embarrassant pour La France Insoumise
Cette affaire survient dans un contexte délicat pour LFI, déjà critiquée pour sa position floue sur certaines questions internationales. Les adversaires politiques ne se privent pas de faire le lien entre cette “vidéo de remerciement” et une supposée complaisance de la gauche radicale envers des régimes autoritaires, en particulier dans le Maghreb.
Pour certains députés Renaissance ou LR, il ne s’agit pas seulement d’une erreur de communication, mais d’un “signal politique grave”. Un député LR ironise : “Il remercie une entreprise algérienne avec des accents d’ambassadeur, alors qu’il est censé représenter la France…”
La question de la sanction
L’Assemblée Nationale va-t-elle réagir ?
À ce jour, aucune saisine du déontologue de l’Assemblée n’a été officiellement annoncée. Mais les appels à enquêter se multiplient. Si une violation du Code est établie, Delogu pourrait recevoir un rappel à l’ordre, une sanction financière, ou même une exclusion temporaire des travaux parlementaires.
Dans les couloirs de l’Assemblée, certains espèrent que l’affaire s’éteindra avec l’été. D’autres y voient le début d’un débat plus large sur la relation entre élus et communication personnelle, à l’ère des réseaux sociaux.
Une affaire symptomatique de notre époque
Ce que révèle surtout la polémique autour de Delogu, c’est la fragilité de la frontière entre sphère privée et engagement public, entre parole spontanée et message politique. À l’heure où chaque geste est enregistré, diffusé, analysé, même un simple “merci” peut avoir des répercussions politiques majeures.
Et pour un élu comme Sébastien Delogu, à la fois libre, clivant, charismatique et engagé, il devient clair que le moindre mot peut se transformer en fusible. Dans une époque où les écrans font la loi, la sincérité ne suffit plus à se protéger du soupçon.
Quand la sincérité d’un élu devient une affaire d’État
Un voyage familial. Un message de remerciement. Une vidéo partagée par erreur. Et un député désormais pris dans la spirale médiatique.
L’affaire Delogu interroge. Elle interroge sur les limites de la fonction de député, sur la responsabilité dans la parole publique, mais aussi sur la tentation de surveiller chaque instant de la vie d’un élu, même les plus anodins.
Ce que Sébastien Delogu voulait adresser comme un “merci” à des hôtes algériens bienveillants est devenu une leçon politique en temps réel, où la transparence absolue finit parfois par se heurter à sa propre incohérence.