Usurpation d'identité : une femme apprend qu'elle est mariée et endettée suite au vol de ses papiers. Retour sur cette affaire troublante.

Une femme se retrouve mariée sans le savoir et doit 7 200 euros au fisc !

ARNAQUE

C’était un mardi d’automne, humide et terne, lorsque Céline, 38 ans, ouvre sa boîte aux lettres sans se douter une seule seconde que sa vie va basculer. À l’intérieur, une lettre de l’administration fiscale, cachetée d’un rouge vif alarmant. Le ton est sec, formel, implacable : “Dernier avis avant poursuites – régularisation de votre dette de 7 216 euros”.

Le sang de Céline ne fait qu’un tour. Elle n’a jamais eu de dettes. Elle paie ses impôts comme elle respire : Discrètement, mécaniquement, honnêtement. Que se passe-t-il ?

Ce courrier n’est que le début d’une descente aux enfers kafkaïenne. Un cauchemar administratif, un labyrinthe judiciaire, une tragédie humaine que personne ne souhaiterait vivre.

Le vol oublié, le piège installé

Deux ans plus tôt, Céline s’était fait voler son sac à main à la sortie d’un cinéma à Rennes. Il contenait sa carte d’identité, son permis, sa carte Vitale, quelques chèques. Déposée plainte, opposition faite, nouveau sac acheté. Fin de l’histoire ? Pas vraiment.

Ce qu’elle ignorait à l’époque, c’est qu’un faussaire méthodique, méticuleux, s’était emparé de son identité. Pas pour contracter un crédit ou vider ses comptes – non. Pour faire bien pire : Créer une nouvelle vie, avec un faux mariage à la clé.

“Madame épouse… un inconnu”

Quand elle appelle le centre des impôts pour comprendre l’origine de la dette, une fonctionnaire finit par lui répondre :

Vous avez été déclarée comme conjointe d’un entrepreneur depuis 2023, domiciliée à Noisy-le-Grand. Il semble que vous soyez redevable solidairement pour les impôts de votre mari…

Mon quoi ?!, hurle Céline.

Un silence au bout du fil. Puis la voix reprend, hésitante :

Madame, selon l’état civil, vous êtes mariée depuis le 4 mai 2023 avec Monsieur Lounès K., auto-entrepreneur, code APE 9609Z…

Céline lâche le combiné. Elle n’a jamais entendu ce nom. Jamais mis les pieds à Noisy-le-Grand. Et surtout : Jamais dit “oui ».

Le mariage frauduleux célébré dans une mairie de Seine-Saint-Denis

Comment cela est-il possible ? Les services d’état civil n’auraient-ils pas dû vérifier les documents ? Demander la présence physique des deux futurs époux ?

C’est là que commence la deuxième partie de cette histoire : Celle de l’inaction, des brèches administratives et de la légèreté des contrôles.

À la mairie concernée, personne ne remarque que l’“épouse” ne parle pas, ne bouge pas, ne sourit pas. Une photo un peu floue collée sur une fausse carte d’identité suffit. L’homme qui l’accompagne parle pour deux. Il semble confiant, peut-être même complice d’un réseau. Une signature approximative est posée sur le registre. Et c’est tout.

Le mariage est enregistré. Céline est désormais légalement unie à un inconnu. Un inconnu qui va accumuler des dettes… à deux.

La spirale infernale : Dettes, procédures, solitude

En quelques semaines, les avis tombent comme la pluie d’octobre : Majorations, courriers de l’URSSAF, taxes foncières jamais payées, relances de créanciers.

Et toujours cette formule glaçante : “Solidarité fiscale entre époux”.

Céline n’en dort plus. Elle perd l’appétit, s’absente de son travail, entame un parcours du combattant administratif : Démarches à la CAF, au Trésor public, au service d’état civil de la mairie de Noisy, au commissariat, au tribunal.

Elle répète cent fois la même histoire. Elle montre sa véritable pièce d’identité. Elle pleure, elle supplie. Mais la machine est lente. La machine doute.

L’impunité des fraudeurs, la vulnérabilité des victimes

Pendant que Céline se bat pour faire reconnaître l’évidence – qu’elle n’a jamais été mariée –, Lounès K. semble avoir disparu des radars.

Son activité est radiée. Son adresse, introuvable. Aucun contact, aucune convocation judiciaire suivie d’effet. L’homme s’est volatilisé. Céline, elle, reste piégée.

L’huissier chargé du dossier fiscal ne veut rien entendre : Tant que l’annulation du mariage n’est pas officialisée par jugement, la solidarité s’applique. Et donc : Payer, ou être saisie.

Une avocate, enfin, la croit

C’est au bout de cinq mois que Céline rencontre Maître Louisa Bourdet, une avocate spécialisée en contentieux de l’état civil et en usurpations d’identité.

Ce que vous vivez, Céline, des dizaines d’autres femmes l’ont déjà traversé.

Elle parle d’un “trafic de mariages blancs”, parfois à l’échelle internationale. De failles béantes dans les préfectures. D’outils numériques encore trop lents, trop fragmentés.

Un recours est déposé auprès du procureur de la République. Une procédure d’annulation de mariage est enclenchée pour cause de “défaut de consentement”.

Une réparation (trop) lente

Il faudra encore sept mois pour que le parquet prononce enfin l’annulation du mariage. Sept mois pendant lesquels Céline vit sous la menace de saisies, avec un crédit immobilier suspendu, et des nuits blanches en cascade.

Elle ne reverra jamais les 2 700 euros déjà ponctionnés. Et aucune indemnisation ne lui sera versée par l’État.

Parce que le préjudice moral ne rentre pas dans les cases, lui explique-t-on. Parce que l’erreur n’est pas directement imputable à un agent. Parce que la justice est ainsi.

Et demain ?

Aujourd’hui, Céline va mieux. Elle a repris son travail. Elle a déménagé. Elle ne fait plus confiance à personne pour gérer ses documents. Elle a posé des alertes sur son nom dans tous les organismes possibles. Elle a même changé de prénom sur les réseaux sociaux.

Mais elle reste méfiante, anxieuse, cassée.

Son histoire, pourtant rare, est un signal d’alarme. Elle révèle l’immense fragilité de notre système face aux fraudes identitaires, et l’effroyable solitude des victimes face à l’inertie de l’État.

Quand l’administration épouse l’absurde

Un simple vol de sac. Une négligence municipale. Un imposteur en cavale. Et voilà qu’une femme se retrouve mariée, fiscalement liée à un escroc, puis livrée à elle-même dans un dédale de procédures.

L’histoire de Céline n’est pas une exception. Elle est le miroir noir d’une société qui n’a pas encore su se doter d’un rempart solide contre la manipulation identitaire.

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