Un Héritage à Sauvegarder : Le Combat des Savonniers pour la Reconnaissance et la Préservation du Véritable Savon de Marseille

Pourquoi 80% du Savon de Marseille n’est pas de Marseille : La lutte des savonniers pour l’authenticité

ARNAQUE

Savon de Marseille. Ces trois mots évoquent l’histoire, la tradition et l’authenticité d’un produit qui traverse les siècles. Ce petit cube aux arêtes irrégulières, symbole du savoir-faire artisanal, est depuis longtemps un ambassadeur de la ville de Marseille. On le trouve dans les boutiques de souvenirs du Vieux-Port, dans les valises des touristes qui repartent avec un petit bout de la cité phocéenne. Mais derrière cette apparente authenticité se cache une vérité dérangeante : La majorité des savons vendus sous le nom de « savon de Marseille » ne sont pas fabriqués à Marseille. En réalité, près de 80% de la production mondiale proviendrait d’ailleurs. Un chiffre qui effraie les savonniers traditionnels, dont la lutte pour préserver l’authenticité de leur produit prend des allures de combat de David contre Goliath.

Le « faux » Savon de Marseille : Un enjeu mondial

Julie Bousquet-Fabre, présidente de la savonnerie Marius Fabre et de l’Union des Professionnels du Savon de Marseille (UPSM), tire la sonnette d’alarme : « La majorité des savons de Marseille ne sont pas fabriqués ici. Ils ne respectent ni la composition, ni le procédé de fabrication traditionnel. Pourtant, n’importe quel fabricant peut graver « Savon de Marseille » sur son produit. » Ce constat effrayant est partagé par Serge Bruna, maître savonnier à la savonnerie de la Licorne, qui constate que des pays comme la Turquie ou le Maroc produisent et exportent leur propre version du savon de Marseille. Le marché est global, les consommateurs du monde entier sont friands de ce produit iconique, mais peu réalisent qu’ils achètent en réalité une imitation.

Avant même la pandémie de Covid-19, des savons estampillés « Savon de Marseille » se vendaient jusqu’à 18 euros en Chine, alors que leur prix d’origine, pour les authentiques savonniers marseillais, tourne autour de deux euros en France. « Nous vendons notre marque La Corvette dans une trentaine de pays », explique Guillaume Fievet, directeur général de la savonnerie du Midi. Mais cette présence internationale est minée par la concurrence déloyale. Face aux géants industriels comme Henkel, qui vend des produits sous le nom de Savon de Marseille sans en respecter l’essence, les artisans locaux luttent pour se faire entendre.

Une tradition perdue dans les chiffres

Aujourd’hui, les savonniers traditionnels français produisent environ 30 000 tonnes de Savon de Marseille par an. Ce chiffre inclut la savonnerie L’Atlantique, qui n’est pas située à Marseille mais qui est tout de même classée parmi les producteurs « traditionnels ». Cependant, cette production artisanale est noyée dans un océan de savons industriels et étrangers qui portent le même nom, mais n’ont ni la composition ni la qualité des véritables Savons de Marseille.

Le Savon de Marseille tel qu’il était fabriqué au début du XXe siècle, lorsqu’il représentait la moitié de la production mondiale, reposait sur une recette stricte établie par l’édit de Colbert en 1688. Ce savon était composé essentiellement d’huile d’olive, d’eau, de sel, de soude et passait par cinq étapes spécifiques de saponification. Aujourd’hui, nombreux sont les savons dits « de Marseille » qui remplacent l’huile d’olive par des graisses animales, et dont le procédé de fabrication est bien loin de l’artisanat d’origine.

L’authenticité a un coût

La production traditionnelle a un prix. Fabriquer du savon en France, en respectant les règles de l’artisanat, entraîne des coûts incompressibles. Raphaël Seghin, président de la savonnerie du Fer à Cheval, souligne que « les savons qui ne sont pas de véritables Savons de Marseille sont moins chers ». Face à des produits moins coûteux, les consommateurs, souvent mal informés, choisissent naturellement le savon le moins cher, sans comprendre la différence entre un authentique Savon de Marseille et une simple imitation.

« Certains vendent des savons à des prix inférieurs au coût de nos matières premières », déplore Serge Bruna. Cette situation met les artisans marseillais en grande difficulté, notamment face à des industriels capables de produire des savons en grande quantité à bas prix. Guillaume Fievet ajoute que la saponification à base d’huile végétale, caractéristique du véritable Savon de Marseille, est un savoir-faire qui mérite d’être reconnu et protégé.

La quête d’une indication géographique protégée (IGP)

Depuis près de quinze ans, les artisans savonniers se battent pour l’obtention d’une Indication Géographique Protégée (IGP), un label qui garantirait l’authenticité du Savon de Marseille et protégerait les producteurs locaux contre les contrefaçons. Mais ce projet se heurte à de nombreux obstacles, tant économiques que politiques. « Il y a aussi des intérêts économiques derrière », reconnaît Julie Bousquet-Fabre. Le marché est vaste, et la manne financière que représente le Savon de Marseille attire bien des convoitises.

À cela s’ajoutent des désaccords internes. Pendant longtemps, deux associations de savonniers marseillais ont porté chacune leur propre dossier d’IGP, se disputant sur la définition même du Savon de Marseille. Doit-il être produit uniquement à Marseille, ou dans toute la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ? Peut-il être parfumé ? Ces querelles internes ont freiné la reconnaissance officielle de l’authenticité du savon.

Serge Bruna, maître savonnier à la savonnerie de la Licorne, se dit prêt à faire des concessions. « Nous sommes prêts à sacrifier l’échelon régional et à nous concentrer sur les Bouches-du-Rhône », propose-t-il. Mais cette proposition reste mal accueillie par les autres savonniers, notamment ceux de l’UPSM, qui se revendiquent comme les seuls à fabriquer de la matière brute jusqu’à la transformation en Savon de Marseille.

Vers une solution politique ?

Pour trancher le débat et faire avancer le dossier, Raphaël Seghin réclame un arbitre indépendant : « Nous n’arrivons pas à trouver un accord, alors il faut un médiateur pour bloquer les choses. » Cependant, les artisans savonniers n’attendent plus grand-chose du gouvernement actuel. « Il faut une volonté politique, mais je ne pense pas que ce dossier sera la priorité du prochain gouvernement », confie Julie Bousquet-Fabre avec un sourire désabusé.

En attendant, l’UPSM a pris les devants en créant un label pour distinguer les 500 à 700 tonnes de savon véritablement marseillais produites chaque année par ses membres. Ce label permettra aux consommateurs d’identifier les savons authentiques et de soutenir les artisans locaux dans leur lutte pour préserver un savoir-faire séculaire.

Un héritage à sauvegarder : Le combat pour le véritable Savon de Marseille

La bataille pour l’authenticité du Savon de Marseille est loin d’être terminée. Entre concurrence mondiale, absence de régulation claire et querelles internes, les savonniers marseillais doivent faire face à de nombreux défis. Pourtant, leur détermination à protéger leur savoir-faire et à offrir aux consommateurs un produit de qualité reste intacte. En attendant une solution politique ou un accord sur l’IGP, les artisans misent sur la transparence et l’éducation des consommateurs pour faire la différence. Acheter un Savon de Marseille véritable, c’est plus qu’un simple geste d’achat : C’est soutenir un héritage artisanal et participer à la préservation d’une tradition séculaire.

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