Je m’appelle Lucie, et un jour, alors que je fouillais dans le grenier de la maison de mon arrière-grand-mère, j’ai découvert un vieux cahier recouvert de poussière. En l’ouvrant, j’ai été plongée dans le récit bouleversant de mon aïeul, Pierre, enfermé à l’âge de 12 ans à Belle-Ile-en-Mer, l’une des fameuses colonies pénitentiaires pour mineurs, autrement appelées « bagnes pour enfants ». Comment de simples délits pouvaient-ils mener des enfants à subir de telles atrocités ? Quels secrets ces lieux gardent-ils encore ?
Le jour où Lucie découvre un secret de famille
Lucie ne s’attendait pas à cela. En rangeant le grenier poussiéreux de la vieille maison familiale, elle tombe sur un cahier jauni par le temps. Sur la couverture, l’encre effacée laisse deviner un nom : Pierre, son arrière-grand-père. En ouvrant les pages, l’histoire d’un garçon de 12 ans se déploie, un récit où chaque mot semble imprégné de peur, de douleur et d’un profond sentiment d’injustice. Pierre y décrit ses années d’enfermement dans ce qu’on appelait autrefois des « bagnes pour enfants ».
Comment est-il possible que, pendant près d’un siècle, la France ait laissé des milliers d’enfants vivre l’enfer dans des lieux insalubres et brutaux comme Belle-Ile-en-Mer, Eysses ou Mettray ?
Un système pénal impitoyable pour les enfants
Dans la France du XIXe siècle, le moindre délit pouvait avoir des conséquences dévastatrices. Être orphelin, voler un simple morceau de pain pour survivre, ou même être simplement considéré comme un enfant « en danger moral » suffisait pour être interné dans ces fameuses colonies pénitentiaires pour mineurs. Ces lieux, fondés dans les années 1830-1840, prétendaient rééduquer les jeunes garçons par le travail agricole et une discipline rigoureuse, mais la réalité était tout autre.
Des propriétaires terriens et des entrepreneurs privés ont mis en place ces établissements, présentés comme des initiatives philanthropiques pour moraliser et instruire des enfants perdus. Pourtant, une fois les grilles des colonies refermées, les jeunes détenus étaient soumis à un régime de travail forcé, de punitions corporelles et parfois même de sévices sexuels. « Nous n’étions plus des enfants, mais des corps qui devaient obéir« , écrit Pierre dans son cahier, et ce témoignage fait écho aux récits de nombreux anciens détenus.
L’origine des « bagnes pour enfants »
L’histoire des bagnes pour enfants débute avec la création de la colonie de Mettray en 1839, près de Tours. Lieu emblématique, Mettray servait de modèle pour les autres établissements similaires qui allaient bientôt apparaître à travers la France. Les enfants, dont certains avaient à peine 7 ans, arrivaient avec le crâne rasé et vêtus d’un uniforme. Ces jeunes, qualifiés de « colons« , étaient souvent livrés à eux-mêmes dans un univers où la violence était omniprésente.
En 1850, la loi du 5 août officialise les colonies pénitentiaires, visant à séparer les jeunes « délinquants » de la société urbaine, perçue comme corruptrice. Ainsi, on isole les enfants, les éloignant de leurs familles et de toute chance d’une vie normale. En 1857, le nombre de détenus mineurs atteint 10 000. À Mettray, comme dans d’autres colonies, l’idée de la rééducation par le travail se transforme en un calvaire quotidien : Lever à l’aube, travail intensif dans les champs, punitions corporelles sévères, privations alimentaires et sanitaires. Les journées étaient interminables, les nuits hantées par la peur de la prochaine punition.
Travail forcé, humiliations et abus : Le quotidien des enfants
Le cahier de Pierre raconte des heures de labeur, de coups et de solitude. Il se souvient du travail harassant, où chaque enfant devait labourer la terre jusqu’à l’épuisement, surveillé par des gardiens impitoyables. Les châtiments corporels étaient interdits par la loi en 1869, mais ces sanctions continuaient en secret, loin des regards. Les colons étaient parfois enfermés dans des cellules glaciales, battus avec des serviettes mouillées pour ne pas laisser de traces ou roulés dans des couvertures avant d’être frappés.
Yann Le Pennec, ancien éducateur à Belle-Ile-en-Mer, décrit cette réalité dans un témoignage glaçant : « Un chef de service m’a expliqué comment il frappait les enfants en les enroulant dans des serviettes mouillées, afin de ne laisser aucune preuve de la violence subie. » Cet enfer n’épargnait personne. Les témoignages évoquent également des abus sexuels, un tabou dont on parle encore peu aujourd’hui mais qui a brisé des vies. Ces lieux n’étaient pas des centres de réhabilitation, mais des bagnes, des prisons où l’innocence était volée et où l’avenir des enfants se brisait à chaque instant.
Une mort, une mutinerie et l’indignation publique
L’un des moments les plus tragiques de cette histoire a eu lieu à Eysses, un centre situé dans le Lot-et-Garonne. Entre 1895 et 1943, Eysses a accueilli des centaines d’adolescents, dans des conditions particulièrement dures. Le site, surnommé « Eysses la maudite », a vu son destin basculer en 1937 lorsqu’un jeune garçon est mort sous les coups des surveillants. Ce décès a été le déclencheur d’une vague d’indignation publique, soulevant pour la première fois la question des abus commis dans les colonies pour mineurs.
Un autre événement marquant est la mutinerie de Belle-Ile-en-Mer en 1934. Tout a commencé par une sanction infligée à un garçon pour une simple histoire de fromage. Le 27 août, 56 enfants profitent du chaos pour s’échapper de la colonie. Une véritable « chasse à l’enfant » s’organise alors sur l’île, impliquant gendarmes, paysans et même des touristes attirés par la promesse d’une récompense de 20 francs par enfant capturé. La traque fut si violente qu’elle inspira Jacques Prévert à écrire son célèbre poème « La Chasse à l’enfant« , dénonçant la cruauté de cet épisode.
Cet acte de rébellion a marqué un tournant, révélant aux yeux de tous la violence qui régnait dans ces établissements. La presse, indignée, se saisit de l’affaire, provoquant un élan de solidarité envers les enfants internés et appelant à une réforme urgente du système pénal des mineurs.
La fin d’un système inhumain et l’importance du souvenir
La Seconde Guerre Mondiale a marqué la fin des bagnes pour enfants en France. En 1945, une réforme capitale de la justice des mineurs a permis de remplacer la logique punitive par une approche axée sur la rééducation et la réinsertion. Ces centres insalubres ont été progressivement fermés, et la France a commencé à repenser son traitement des jeunes délinquants.
Aujourd’hui, plusieurs associations travaillent pour que cette page sombre de l’histoire ne soit jamais oubliée. À Belle-Ile-en-Mer, par exemple, l’association La Colonie se consacre à la préservation de la mémoire des enfants internés. Elle collecte témoignages et documents, et souhaite transformer le site en un lieu de mémoire. « Nous devons nous souvenir pour que cela ne se reproduise jamais« , déclare l’un des membres. Ces lieux de souffrance deviennent alors des lieux de réflexion, pour sensibiliser les générations actuelles et futures.
Un appel à la mémoire pour ne jamais oublier les injustices subies
En refermant le cahier de Pierre, Lucie ne peut s’empêcher de ressentir un profond respect pour son arrière-grand-père, mais aussi une immense tristesse. Ces enfants, dont les seuls crimes étaient parfois d’être pauvres ou orphelins, ont subi l’indicible. Le souvenir des bagnes pour enfants est un rappel poignant des erreurs passées, un appel à la justice et à la dignité pour tous les enfants, partout et à tout moment.
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