Sophie : « Comment un voyage artistique pour célébrer la paix entre les peuples a-t-il pu finir dans un tel cauchemar ? »
Elle portait une robe de mariée. Non pas pour se marier. Mais pour unir symboliquement les peuples par-delà les frontières. Elle s’appelait Pippa Bacca, de son vrai nom Giuseppina Pasqualino di Marineo, une artiste italienne de 33 ans. Issue d’une famille noble de Milan, elle croyait à la puissance des gestes poétiques. Et elle avait choisi de faire de son corps, de sa liberté et de sa confiance en l’autre une œuvre d’art vivante. En 2008, son projet était clair : Traverser en auto-stop le Moyen-Orient en robe blanche, afin de répandre un message de paix, de sororité et de confiance.
Elle ne voulait pas dénoncer une religion. Elle ne voulait pas prouver que le monde était dangereux. Elle ne voulait pas « choquer », ni « défier ». Elle voulait simplement croire à la bonté humaine. À la réconciliation. À la paix.
Mais le 31 mars 2008, sur une route de Gebze, près d’Istanbul en Turquie, un homme a détruit ce rêve.
Une œuvre pacifiste, pas un acte politique
Le projet s’appelait « Brides on Tour ». Une performance artistique menée avec une autre artiste, Silvia Moro. Toutes deux vêtues de robes de mariée, symbole universel d’union et de confiance, voulaient relier Milan à Jérusalem, à travers des pays marqués par des conflits : La Slovénie, la Croatie, la Bosnie, la Serbie, la Bulgarie, la Turquie, la Syrie, le Liban, la Palestine, puis Israël.
Leur manifeste était clair :
« Nous croyons en un monde où l’on peut faire confiance à l’inconnu. »
Mais ce projet n’avait rien d’idéologique. Il ne s’agissait pas de « dénoncer l’islamophobie« , comme certaines publications déformées le prétendent. Pippa Bacca ne faisait pas de politique. Elle faisait de l’art. Un art de la confiance. Un art féministe, poétique, provocant, certes — mais jamais sectaire.
La séparation avec Silvia et le basculement
En mars 2008, arrivée en Turquie, les deux artistes décident de poursuivre l’aventure séparément pendant quelques jours, pour expérimenter le voyage en solitaire. C’est à ce moment que Pippa Bacca monte à bord d’une voiture conduite par un inconnu.
Son nom : Murta Karataş. Un Turc déjà condamné pour vol de voiture. Ce jour-là, il la conduit dans une zone isolée, la viole puis l’étrangle. Il enterre ensuite son corps dans un bois de la ville de Gebze, à une cinquantaine de kilomètres d’Istanbul.
Une disparition inquiétante, une arrestation rapide
Le 31 mars 2008, Pippa ne donne plus signe de vie. L’alerte est donnée. Grâce à l’analyse de ses communications téléphoniques, les enquêteurs turcs retrouvent rapidement la trace de son téléphone… dans les mains de son meurtrier. Celui-ci avoue rapidement les faits et conduit la police au lieu où il a enterré le corps.
La nouvelle fait l’effet d’une onde de choc en Italie. Et en Turquie. Car cette tragédie heurte le cœur même du projet : La confiance, l’hospitalité, le respect. La violence de ce crime, en totale contradiction avec la démarche artistique de Pippa Bacca, glace l’opinion.
Un procès, une condamnation… et le silence médiatique
Murta Karataş a été condamné à la prison à perpétuité par la justice turque. Une peine exemplaire, rendue possible par la coopération entre la Turquie et l’Italie. Mais l’affaire, aussi tragique soit-elle, n’a pas eu le retentissement international qu’elle méritait. Très peu de médias français s’en sont fait l’écho à l’époque.
Et pourtant, tout y était pour fasciner ou déranger : Une artiste, une performance radicale, une robe de mariée, une mort atroce, un message brisé…
La récupération politique : Une trahison posthume
Depuis quelques années, des publications détournées de l’histoire de Pippa Bacca circulent sur les réseaux sociaux. On y lit qu’elle serait une « militante gauchiste », qu’elle voulait « dénoncer l’islamophobie », et que sa mort prouverait la naïveté de son engagement.
Ce récit falsifié instrumentalise son viol et son assassinat pour nourrir des discours xénophobes et islamophobes, en totale contradiction avec le message qu’elle portait.
Mais Pippa Bacca ne voulait pas diviser. Elle ne cherchait pas à pointer du doigt une culture ou une religion. Elle voulait rapprocher les peuples, féminiser les regards, rappeler que la paix n’est pas un concept naïf, mais une lutte poétique.
👉 La déformer, c’est la trahir.
Une robe de mariée comme ultime symbole
Le 11 avril 2008, un hommage émouvant lui est rendu à Milan, sa ville natale. Son cercueil, recouvert de la robe de mariée qu’elle portait lors de son périple, traverse la foule silencieuse. Des femmes, des artistes, des anonymes saluent cette figure désormais tragique de l’art engagé.
Son projet ne s’est pas arrêté à sa mort. De nombreux artistes du monde entier s’en sont inspirés pour parler de la violence faite aux femmes, de la fragilité des idéaux, de la beauté du courage.
Un cri d’amour en héritage
Pippa Bacca croyait aux gens. Elle croyait aux gestes gratuits. Elle croyait que même dans les pays marqués par la guerre, la pauvreté ou le patriarcat, il y avait de la bonté. Son meurtrier ne représente pas un peuple. Il n’est que l’ombre tragique dans un projet lumineux.
Il ne faut pas laisser les discours haineux déformer son histoire. Pippa Bacca ne portait pas un message politique, mais un message d’amour. Celui qui choisit de voir dans son assassinat la preuve d’un danger culturel ou religieux trahit son combat.
Elle est morte en croyant à la paix. Honorons son geste. Et protégeons son message.