Comment est-ce possible qu’un EHPAD rachète une licence IV pour ouvrir son propre bar ?
Dans le silence feutré des couloirs d’un EHPAD alsacien, une clochette tinte soudain. Ce n’est pas celle du repas ou du médecin, mais celle du comptoir flambant neuf installé dans la salle commune. Au mur, quelques verres suspendus, une odeur de café, des bouteilles bien alignées, et, derrière le bar, un sourire franc : celui d’un animateur devenu barman le temps d’un après-midi. Bienvenue à Kunheim, petit village du Haut-Rhin, où l’EHPAD La Roselière a décidé de rompre avec la monotonie du grand âge en rachetant une licence IV, symbole de liberté et de vie sociale retrouvée.
Le projet a de quoi surprendre. Dans une époque où tout semble aseptisé, contrôlé, encadré par des protocoles, voir une maison de retraite acheter une licence de débit de boissons relève presque de la révolution silencieuse. L’établissement a acquis l’autorisation auprès d’un restaurant voisin d’Urschenheim, fermé depuis quelque temps. Mais ici, pas question de transformer les couloirs en troquet tapageur. L’idée est tout autre : ramener la vie, la vraie, là où elle s’était parfois éteinte.
Dans le regard des résidents, on lit désormais un éclat qu’on croyait perdu. Ce n’est pas l’alcool qui fait tourner les têtes, mais la possibilité de choisir, de s’asseoir, de trinquer à nouveau à quelque chose. Un anniversaire, une partie de belote, ou simplement au plaisir d’être ensemble. Car dans cet EHPAD, le bar n’est pas un décor : c’est un pont entre les générations, un espace d’échange, un lieu où les familles peuvent se retrouver autrement qu’autour d’un plateau-repas.
Le geste de la direction est simple mais puissant : replacer la convivialité au cœur du soin. Offrir un café ou un kir, c’est offrir bien plus qu’une boisson : c’est redonner une place à la parole, au souvenir, à la complicité. Beaucoup de résidents avaient connu les bistrots de village, les apéritifs du dimanche, les banquets de fête communale. Ce bar d’EHPAD, c’est un morceau de cette mémoire collective qui ressuscite, avec pudeur et chaleur humaine.
Derrière cette initiative, il y a une philosophie nouvelle du vieillissement. Ne plus considérer la vieillesse comme une mise en retrait, mais comme une continuité de la vie sociale. Dans une société où l’isolement des seniors devient un fléau silencieux, cette licence IV prend des airs d’antidote. Elle autorise le rire, la spontanéité, le droit à la détente. Elle rappelle que vieillir n’efface pas le besoin d’amitié, de partage ni le plaisir de lever un verre à la santé du moment présent.
Pour le personnel soignant, cette initiative change aussi la donne. Elle adoucit les relations, efface les frontières entre soignants et soignés, fait tomber la solennité des blouses blanches. On parle plus facilement, on rit davantage, on vit mieux. C’est une autre façon de faire de la médecine du quotidien : celle du sourire, de l’attention, du lien humain.
Le bar de La Roselière n’a rien d’un lieu de démesure : il est sobre, chaleureux, pensé avec soin. Les boissons sont évidemment adaptées, le service encadré, les horaires précis. Mais ce qui s’y passe échappe à tout règlement : la joie spontanée. Un mot d’esprit, un souvenir partagé, un air d’accordéon qui s’élève soudain d’une radio oubliée. Autant de moments qui rappellent que le bien-être ne se prescrit pas, il se cultive.
Les visiteurs eux aussi perçoivent la différence. En franchissant les portes de cet établissement pas tout à fait comme les autres, ils découvrent un lieu où la vieillesse rime avec humanité. On ne parle plus seulement de soins, de dépendance ou de pathologies, mais de vivre ensemble, de chaleur humaine, de liberté respectueuse. Ce bar, c’est une bulle d’air frais dans un secteur souvent jugé morose, un symbole discret d’une société qui réapprend à aimer ses anciens autrement que par devoir.
Et si cette expérience faisait école ? Si chaque maison de retraite pouvait, à sa manière, retrouver cette dose de convivialité, cette audace tranquille ? L’initiative de Kunheim prouve qu’il suffit parfois d’un comptoir, de quelques verres et d’un peu de cœur pour réinventer la vie en collectivité. Un lieu où le mot « soin » s’écrit désormais avec un grand S — celui de social, de sourire, de sens.
Ainsi, dans le Haut-Rhin, une simple licence IV est devenue bien plus qu’un papier administratif : un acte de confiance envers les résidents, une déclaration d’amour à la vie. Une façon de dire que tant qu’il y aura un bar à l’EHPAD, il y aura encore des histoires à raconter, des verres à lever, et des regards à croiser.
👉 Une initiative pleine de sens, racontée par Valeurs Actuelles, qui redonne à la vieillesse le goût du lien, du partage et de la liberté retrouvée.