Grégoire : « Est-ce un cauchemar pour les automobilistes… ou un rêve de ville respirable ? Peut-on sérieusement envisager une autoroute à 50 km/h en pleine Île-de-France ? »
Le ciel est gris ce jour-là à Bobigny. À quelques pas de la mairie, dans une salle de réunion sobre et vitrée, le silence se brise lorsque le conseiller territorial de l’intercommunalité Est Ensemble, installé au nord-est de Paris, lâche cette phrase comme un pavé :
« Nous voulons requalifier l’A3 et l’A86 en boulevards urbains, et faire baisser leur vitesse à 50 km/h d’ici 2032. »
Autour de la table, quelques sourcils se haussent. Ce ne sont pas des utopistes mais des élus — ancrés à gauche, souvent écologistes ou apparentés communistes — qui ont bien conscience que leur idée, si elle était traduite dans le code de la route, marquerait un tournant historique dans l’aménagement urbain francilien.
L’exemple du périphérique parisien comme point de départ
Depuis octobre 2024, le périphérique parisien est officiellement limité à 50 km/h. Un choix controversé, mais qui a montré des résultats encourageants sur le plan du bruit et de la sécurité. Pour les élus d’Est Ensemble, cette décision est un modèle. Pourquoi ne pas étendre cette transformation aux axes A3 et A86, deux autoroutes qui serpentent le cœur de la Seine-Saint-Denis, département populaire et surdensifié où l’autoroute longe parfois des écoles, des logements sociaux et des centres hospitaliers ?
2032, la date clé
Le projet de ces élus n’est pas improvisé. 2032 marque la fin de la concession de l’autoroute A3 par la société Sanef. Une opportunité en or pour repenser l’infrastructure. L’idée serait donc, à cette échéance, de transformer ces autoroutes en boulevards urbains à part entière : Avec des pistes cyclables, des voies bus et covoiturage, des espaces arborés, et surtout une vitesse abaissée à 50 km/h.
En amont, une première étape est envisagée dès 2026, avec une réduction progressive à 70 km/h, à titre de test et de transition douce pour les usagers.
Une réponse à l’urgence sanitaire
Ce n’est pas un caprice idéologique, affirment les initiateurs du projet. Il s’agit d’une nécessité de santé publique. Selon les études qu’ils citent, plus de 180 000 habitants vivent à moins de 500 mètres de ces autoroutes, avec une exposition à des niveaux de dioxyde d’azote (NO₂) jusqu’à 8 fois supérieurs aux recommandations de l’OMS.
Et le bruit ? Là aussi, les chiffres sont implacables. Entre les poids lourds et les flux de véhicules quasi constants, les riverains vivent dans un tumulte permanent. Réduire la vitesse, c’est réduire mécaniquement le bruit, les risques d’accidents graves et les émissions polluantes.
Une requalification urbaine ambitieuse
Derrière cette proposition se cache une vision à long terme : Celle d’une ville plus apaisée, où la voiture individuelle n’est plus reine, où le vélo, les transports en commun et la marche à pied trouvent leur juste place.
Imaginez l’A3 reconfigurée avec un trottoir bordé d’arbres, une voie réservée aux bus, une piste cyclable protégée, le tout limité à une vitesse de croisière de 50 km/h. Ce n’est plus une autoroute, c’est un boulevard urbain, une continuité de la ville, pas une cicatrice qui la traverse.
Des critiques féroces, mais pas inattendues
Bien sûr, cette idée ne fait pas l’unanimité. Les associations d’automobilistes crient au délire. Plusieurs élus de droite franciliens dénoncent une stratégie punitive, qui « criminalise la voiture » et pénalise les travailleurs qui n’ont pas d’alternative.
Des experts en transport alertent aussi sur les risques de saturation. Une autoroute qui passe de 110 km/h à 50 km/h risque de provoquer des bouchons monstres si l’offre alternative (RER, bus express, métro) ne suit pas.
Mais les élus d’Est Ensemble répliquent : La réduction du trafic automobile est le cœur même de la stratégie. Il ne s’agit pas d’adapter les routes aux voitures, mais d’adapter les villes aux vies humaines.
Un projet en débat… mais dans l’air du temps
À l’heure où Londres développe ses Ultra Low Emission Zones, où Barcelone transforme ses rues en superîlots piétons, où Paris étend les zones 30, la proposition de limiter certaines autoroutes à 50 km/h ne paraît plus si utopique. Elle est le prolongement logique d’un changement de paradigme : Vivre mieux passe par circuler autrement.
Vers une autoroute du futur : Lenteur choisie ou frein imposé ?
En 2032, si rien ne change, l’A3 et l’A86 continueront à faire trembler les murs, secouer les tympans et charger l’air d’azote.
Mais si le projet porté par ces élus voit le jour, alors peut-être que, d’ici une décennie, l’on entendra plus que le chant des oiseaux sur ces anciens rubans d’asphalte.
Ce n’est pas une simple réduction de vitesse. C’est un changement de civilisation.