« Sabrina, comment imaginer qu’au cœur de Jumilla, dans cette ville baignée de soleil et de traditions, les rires, les prières et les embrassades des jours d’Aïd soient remplacés par le silence d’un gymnase fermé à double tour ? »
Sous un ciel implacablement bleu, Jumilla, ville de la région de Murcie réputée pour ses vignobles et ses paysages dorés, est devenue le théâtre d’une décision qui secoue l’Espagne entière. Ce 28 juillet 2025, dans la salle feutrée du conseil municipal, les élus du Parti Populaire (PP), avec l’abstention calculée de Vox, ont adopté un texte qui va bouleverser le quotidien de plus de 1 500 habitants de confession musulmane : L’interdiction d’utiliser les installations publiques pour organiser les grandes fêtes religieuses telles que l’Aïd el-Fitr et l’Aïd el-Adha.
La mesure, habilement dissimulée dans une modification du règlement d’usage des espaces municipaux, précise que ceux-ci ne pourront plus accueillir d’activités religieuses, sociales ou culturelles non organisées par la mairie. En apparence neutre, cette rédaction frappe de plein fouet les deux rendez-vous annuels qui, depuis des décennies, rassemblaient la communauté musulmane dans un gymnase municipal transformé, le temps d’une matinée, en lieu de prières et de retrouvailles.
Un choc pour la communauté locale
Dans les rues de Jumilla, l’annonce a provoqué une onde de choc. Beaucoup se souviennent encore de ces matinées de fête : Le parfum du thé à la menthe, les conversations enjouées, les enfants vêtus de leurs plus beaux habits courant sous les regards attendris. Désormais, ces images appartiendront peut-être au passé.
Pour la Fédération espagnole des organisations islamiques et la Junta Islámica, il ne s’agit pas d’un simple changement administratif mais bien d’une mesure discriminatoire. Elles dénoncent une violation flagrante de l’article 16 de la Constitution espagnole, garantissant la liberté religieuse. Un recours judiciaire est déjà en préparation, tandis que des appels au dialogue ont été lancés.
Une décision qui dépasse les frontières de Jumilla
Comme le rapporte le site 20 Minutes, la polémique a rapidement quitté les murs de la ville. La ministre de l’Inclusion, Elma Saiz, a exprimé sa préoccupation, rappelant que les institutions doivent défendre le droit de tous les citoyens, quelle que soit leur religion, à pratiquer leur culte dans la dignité. Même la Conférence des Évêques, rarement en première ligne sur ce genre de dossier, a manifesté son désaccord, soulignant que la liberté religieuse est un pilier de la démocratie.
Le Défenseur du Peuple, garant des droits fondamentaux, a ouvert une enquête d’office. Il s’agit de déterminer si cette interdiction, votée par une collectivité locale, est conforme à la Constitution ou si elle constitue un précédent dangereux.
Une fracture politique révélée au grand jour
Pour Vox, cette décision est une victoire : Le parti revendique haut et fort la défense des « traditions espagnoles » et voit dans l’interdiction un moyen de préserver ce qu’il considère comme l’identité nationale. Le Parti Populaire, de son côté, se défend de toute discrimination, affirmant que la règle s’applique à toutes les confessions. Mais à gauche, on parle ouvertement d’islamophobie institutionnelle.
Les habitants, eux, se divisent. Certains soutiennent la mesure, d’autres y voient un acte inutilement provocateur dans une ville où les différentes communautés vivaient jusqu’alors dans une relative harmonie.
Une affaire appelée à durer
À l’approche des fêtes de l’Aïd, la question devient brûlante : Où la communauté musulmane pourra-t-elle se rassembler ? Faute de lieu adapté, beaucoup redoutent un éclatement des célébrations, une perte du lien social que ces rassemblements nourrissaient.
Ce qui se joue à Jumilla dépasse la simple organisation d’un événement religieux. C’est la définition même de la liberté de culte, de la coexistence et du vivre-ensemble qui est en cause. Et, à travers cette affaire, c’est toute l’Espagne qui se trouve confrontée à un débat de fond : Jusqu’où peut-on aller au nom de l’identité ? Et à quel prix ?

Yann GOURIOU est rédacteur et responsable éditorial de MyJournal.fr. Passionné d’actualité, de société et de récits de vie, il signe chaque article avec une approche humaine, sensible et engagée. Installé en Bretagne, il développe un journalisme proche du terrain, accessible et profondément ancré dans le quotidien des Français.
