Léna s’interroge : Comment Harsh Vardhan Jain a-t-il pu berner tout un pays pendant une décennie entière en jouant le rôle d’un diplomate… pour des États qui n’existent même pas ?
Pendant plus de dix ans, il a foulé les couloirs du pouvoir, participé à des événements officiels, apposé des tampons diplomatiques sur des documents, reçu des personnes venues des quatre coins de l’Inde en quête d’espoir, de papiers ou d’un emploi à l’étranger. Il arborait des insignes, des cartes, des drapeaux et même des plaques officielles. Son nom : Harsh Vardhan Jain. Son titre ? Ambassadeur plénipotentiaire d’États… totalement imaginaires.
Un diplomate sans nation
Tout commence au début des années 2010. Jain, originaire de Ghaziabad, une ville de la grande banlieue de New Delhi, se présente comme représentant officiel en Inde de l’ »Arctique occidental », un pseudo-État inexistant. Plus tard, il étendra ses activités diplomatiques à d’autres pays fictifs comme le Saborga, le Lodonia, ou encore le Poulvia. Des noms exotiques, crédibles, flous, surtout pour un public qui ne vérifiera jamais les cartes de géographie.
Il portait beau. Costume sobre, accent posé, un ton rassurant. Il se présentait comme « ambassadeur honoraire« , parfois même « envoyé spécial » de ces nations exotiques. Il disait œuvrer à la coopération bilatérale, promouvoir la paix, la diplomatie, la mobilité des jeunes Indiens. Il montrait des cartes de visite luxueuses, tamponnait des documents avec des sceaux officiels, et apposait sur son véhicule personnel une plaque diplomatique bleue, strictement réservée aux véritables représentations étrangères.
La mécanique de la crédulité
Dans un pays où les rêves d’expatriation sont nombreux, où les jeunes désœuvrés cherchent un avenir ailleurs, Jain représentait une passerelle. Un contact. Une solution. Moyennant plusieurs milliers de roupies — voire bien plus — il promettait des emplois à l’étranger, des visa diplomatiques, des lettres d’introduction, parfois même de fausses bourses d’études. Il prétendait être en lien avec des ONG internationales et des gouvernements fantômes installés dans des zones contestées.
Son public, souvent désespéré, ne remettait que rarement en cause ses promesses. Comment douter d’un homme qui se présente dans des hôtels luxueux, qui montre des passeports officiels, qui évoque des voyages en Europe et en Asie, qui affirme représenter une organisation reconnue par l’ONU (ce qui était totalement faux) ?
Une garde-robe d’ambassadeur et des documents… artisanaux
Lorsque la police de Ghaziabad est enfin intervenue en juillet 2025, ce qu’elle a trouvé dans son appartement a fait frémir les enquêteurs. 53 500 dollars en espèces, un véritable atelier de falsification : Passeports, tampons, lettres officielles, photos retouchées de Jain aux côtés de dirigeants politiques, faux communiqués de presse, et jusqu’à des certificats d’honneur diplomatique imprimés à son nom.
Parmi ses documents, plusieurs identités. Plusieurs nationalités. Plusieurs dates de naissance. L’homme semblait avoir recréé sa propre diplomatie parallèle, dans une représentation théâtrale minutieusement orchestrée.
Mais son imposture allait bien au-delà de la mise en scène. Il disposait de documents contrefaits émanant du ministère des Affaires étrangères indien, y compris de faux tampons administratifs. De quoi berner même certains policiers ou fonctionnaires locaux.
Dix ans d’imposture… et aucun signalement
Le plus sidérant dans cette affaire, c’est sa durée. Dix ans. Une décennie à se faire passer pour un ambassadeur. À participer à des cérémonies. À rencontrer des personnalités locales. À diffuser ses activités sur les réseaux sociaux, parfois même sur des médias locaux peu regardants.
Jamais les autorités indiennes n’avaient été alertées de manière officielle. Il faut dire que l’illusion fonctionnait à merveille : Une petite minorité seulement prenait la peine de vérifier l’existence des États qu’il représentait. Et face à un homme qui évoquait la coopération diplomatique, la plupart des interlocuteurs n’osaient pas poser de questions gênantes.
Ce n’est qu’en juillet 2025 que tout a basculé. Un signalement anonyme parvenu à la police de Ghaziabad a déclenché une perquisition. Et la vérité a éclaté, brutale, absurde, presque invraisemblable.
Blanchiment, promesses d’emploi et espoirs brisés
Les enquêteurs ont découvert que Harsh Vardhan Jain gérait également un réseau de sociétés-écrans, permettant de blanchir les sommes perçues lors de ses “transactions diplomatiques”. Certains témoignages évoquent des promesses de visa pour les Émirats arabes unis, la Suisse ou encore la Slovénie, via des pays-fantômes servant de relais. Des victimes affirment avoir tout vendu pour obtenir leurs précieux documents… jamais délivrés.
Parallèlement, Jain utilisait le statut diplomatique fictif pour se déplacer librement, éviter les fouilles, obtenir des accès privilégiés, notamment dans certains lieux réservés aux représentants étrangers.
Une mascarade mondiale ?
Le plus troublant dans cette affaire, c’est que Harsh Vardhan Jain ne semble pas avoir été un cas isolé. Les autorités indiennes étudient désormais des connexions potentielles avec d’autres faux diplomates dans plusieurs États de l’Uttar Pradesh, voire au-delà. Des liens avec l’organisation “Arctique occidental”, prétendument basée aux États-Unis, sont en cours d’analyse. Celle-ci pourrait elle-même être une façade juridique destinée à faciliter les opérations de fraude.
Le mystère reste entier sur le nombre exact de victimes, les montants détournés, et les complicités dont Jain a pu bénéficier.
L’homme qui a vendu des rêves sur papier glacé
Aujourd’hui incarcéré, Harsh Vardhan Jain fait face à plusieurs chefs d’accusation, notamment pour escroquerie, faux et usage de faux, blanchiment d’argent et usurpation de fonction publique. Son procès promet d’être retentissant, tant les ramifications de son imposture soulèvent des questions vertigineuses sur la vigilance des institutions.
Son cas rappelle que dans un monde saturé d’images, de faux profils et de storytelling, la frontière entre réalité et fiction peut être franchie avec un bon costume, un langage bien rodé… et une carte de visite.

Yann GOURIOU est rédacteur et responsable éditorial de MyJournal.fr. Passionné d’actualité, de société et de récits de vie, il signe chaque article avec une approche humaine, sensible et engagée. Installé en Bretagne, il développe un journalisme proche du terrain, accessible et profondément ancré dans le quotidien des Français.
