En 2025, on célèbre les 60 ans de la loi qui a libéré économiquement les femmes mariées : une transformation sociale majeure racontée en détails.

13 juillet 1965 : Le jour où les femmes mariées ont conquis leur indépendance financière en France

HISTOIRE

Une liberté conquise dans le silence de l’Histoire

Il y a des révolutions qui ne s’écrivent pas dans le sang, mais dans l’encre d’un décret. Celle du 13 juillet 1965, gravée dans les pages du Journal Officiel, a bouleversé la vie de millions de Françaises sans qu’un coup de canon ne tonne, sans qu’un cortège ne défile. Ce jour-là, la République leur a murmuré : « Vous êtes désormais libres. » Libres de signer un contrat de travail, d’ouvrir un compte bancaire, de gérer leur salaire, de posséder, de décider. Libres, enfin, d’exister juridiquement en dehors de leur mari.

Charlotte se souvient encore de sa grand-mère, Geneviève, née en 1931. Mariée à 21 ans, elle avait abandonné son emploi de secrétaire pour “élever les enfants” — une formule toute faite, mais en réalité, un renoncement imposé. Geneviève n’avait pas le droit de reprendre une activité professionnelle sans l’autorisation écrite de son époux. « Même pour acheter une machine à coudre avec mes économies, je devais demander la permission », disait-elle. La loi de 1965 allait tout changer.

Un système patriarcal codifié dans le marbre du Code civil

Depuis 1804, le Code civil napoléonien faisait des femmes mariées des incapables juridiques. Elles étaient placées sous l’autorité de leur mari, comme les enfants mineurs. Le foyer était conçu comme une petite monarchie où l’homme régnait en maître, et la femme servait en silence. Les rares avancées restaient marginales : En 1907, elles pouvaient enfin garder le fruit de leur travail. En 1910, elles obtenaient le droit de retirer l’argent de leur livret d’épargne. Mais il fallait attendre les guerres mondiales, et l’absence massive des hommes, pour que les femmes soient temporairement autorisées à gérer seules les finances du foyer… jusqu’au retour du patriarche.

La France, pourtant terre des droits de l’homme, avait oublié que ceux-ci ne s’exerçaient pas toujours au féminin.

Jean Carbonnier et la réforme de la raison

En 1965, le juriste Jean Carbonnier, spécialiste du droit civil, rédige une réforme majeure : Celle des régimes matrimoniaux. Elle repose sur une idée simple mais révolutionnaire : Dans un couple, les deux époux doivent avoir des droits égaux. Fini le mari “chef de famille” tout-puissant. Désormais, la femme mariée peut :

  • Ouvrir un compte bancaire en son nom,
  • Travailler sans autorisation,
  • Gérer ses biens propres et ses revenus personnels,
  • Signer un contrat sans tutelle maritale.

Adoptée le 13 juillet 1965, la loi entre en vigueur le 1er février 1966. Et la société change, lentement, profondément.

Une transformation silencieuse, mais immense

Dans les années qui suivent, les banques s’adaptent. On voit apparaître des brochures titrées « Les femmes et la banque ». Les conseillers s’habituent à recevoir des femmes seules, des mères, des travailleuses. Le langage change. Le regard aussi.

Mais tout n’est pas si simple. À l’époque, seulement 30% des femmes mariées travaillent. Le monde professionnel reste largement masculin, et les salaires des femmes inférieurs de 30 à 40%. Les mentalités mettent du temps à suivre la loi. Dans les familles, certaines mères continuent de transmettre à leurs filles l’idée qu’un mari est une sécurité, et que l’argent, ça se laisse gérer par “les hommes”.

Pourtant, petit à petit, le vent tourne.

1965–2025 : 60 ans de combat, et après ?

En 2025, on célèbre les 60 ans de cette loi fondatrice. Et pourtant, une enquête de l’Observatoire de l’Épargne révèle que 37% des femmes en couple ne se sentent toujours pas autonomes financièrement. Dans les foyers, les inégalités subsistent. L’écart moyen de capital personnel entre hommes et femmes reste de 16%. La précarité touche davantage les mères isolées. La violence économique — refus d’accès au compte du couple, confiscation de la carte bancaire, interdiction de travailler — est encore une réalité pour des milliers de femmes.

Mais il y a aussi des signes d’espoir. Des femmes entrepreneurs, des jeunes filles qui investissent dès 18 ans, des étudiantes qui ouvrent un compte pour leurs projets personnels. La loi de 1965 ne fut pas une fin, mais un commencement. Le socle sur lequel d’autres conquêtes ont été bâties : La légalisation de l’IVG (1975), l’égalité salariale (théoriquement en 1972), la fin du délit d’adultère (1975), l’autorité parentale conjointe (1970), le droit à l’ouverture du compte du couple sans cosignature (1985).

Une révolution de papier devenue culture de liberté

Geneviève n’est plus là pour voir ce que sa petite-fille Charlotte est devenue. Mais elle aurait souri, tendrement, en découvrant que Charlotte, jeune cadre indépendante, investit, épargne, paie ses impôts et gère sa vie sans jamais demander de permission à qui que ce soit.

Ce sourire discret, c’est celui d’une génération de femmes qui n’a jamais manifesté, qui n’a jamais brûlé de soutien-gorge, mais qui a, en silence, bâti une liberté nouvelle. Une liberté qui, comme toute conquête, ne se donne pas : Elle se prend.

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