Anaïs : « Que ressent‑on quand, chaque matin, on sort de chez soi avec la crainte qu’une insulte ne brise notre journée ? »
Ils sont nos voisins, nos collègues, nos amis. Ils vivent en France, y sont nés ou y ont grandi, y ont aimé, travaillé, contribué. Pourtant, 75% d’entre eux avouent aujourd’hui avoir peur. Pas la peur vague d’un danger imaginaire. Une peur tangible, ancrée dans le quotidien, alimentée par les regards, les mots, les gestes. Une peur d’être la prochaine cible d’une insulte, d’une humiliation, d’une injustice. Ces citoyens français, ce sont les Musulmans.
Le dernier rapport de l’Observatoire des discriminations religieuses et de l’islamophobie, réalisé par l’Ifop, fait froid dans le dos. Les chiffres sont brutaux : Trois Musulmans sur quatre craignent une hausse des violences à leur encontre dans les mois à venir. Une inquiétude profonde, qui dépasse la simple angoisse passagère. Une angoisse structurante, omniprésente, comme un bruit de fond qui ne cesse jamais.
Ce chiffre de 75% n’est pas sorti de nulle part. Il vient d’une étude sérieuse, étayée par des centaines de témoignages. Il dit l’état d’un pays où une partie de ses citoyens vit désormais avec l’intime conviction qu’elle pourrait être agressée, discriminée, rejetée, simplement parce qu’elle est perçue comme Musulmane. Il dit l’échec cuisant de notre promesse républicaine d’égalité.
Derrière cette peur, il y a des histoires. Il y a Yassine, 42 ans, chef d’équipe dans une société de transport, qui raconte qu’à chaque nouvelle attaque terroriste, il évite de sortir de chez lui pendant quelques jours, de peur d’essuyer des insultes ou des regards hostiles. Il y a Najat, 29 ans, infirmière à Marseille, qui dit qu’on lui a déjà demandé de retirer son voile en pleine rue « si elle voulait rester en France ». Il y a Mohamed, lycéen en terminale, qui a vu un de ses camarades lui souffler à l’oreille « retournes dans ton bled » alors qu’il parlait arabe avec sa grand-mère au téléphone.
Ces témoignages ne sont pas des exceptions. Ils sont devenus le quotidien de milliers de personnes. L’Ifop révèle que 48% des personnes Musulmanes disent avoir déjà été insultées ou harcelées à cause de leur religion. Un chiffre alarmant qui grimpe encore lorsque les femmes portent un voile : Pour elles, l’exposition est permanente, les risques décuplés.
L’une des données les plus saisissantes de cette enquête est que la peur se diffuse dans toutes les sphères de la vie sociale : école, travail, transports, administration. Aucune zone de la vie publique n’échappe au soupçon, à la crispation, à l’hostilité. Ce ne sont pas des faits divers isolés, ce sont les signes visibles d’un climat délétère qui s’installe dans la durée.
Il faut dire que les discours politiques ambigus, les plateaux télé saturés de propos anxiogènes, les polémiques à répétition sur le voile, la viande halal ou les menus de cantine, contribuent à faire des Musulmans les boucs émissaires d’une France qui doute d’elle-même. Et ce doute, cette angoisse collective, se transforme trop souvent en rejet de l’autre, en rejet de celui que l’on fantasme comme porteur d’une altérité menaçante.
L’étude de l’Ifop met également en lumière un phénomène préoccupant : Le repli. Plus de la moitié des personnes interrogées disent éviter certains lieux publics ou ne pas pratiquer leur religion librement par peur d’être stigmatisées. Une forme d’autocensure qui nie le droit fondamental à la liberté de conscience et d’expression religieuse. Ce n’est pas une simple gêne, c’est une atteinte aux principes démocratiques.
Dans ce climat tendu, les actes islamophobes explosent. En 2023, le ministère de l’Intérieur a recensé une hausse de 300% des signalements d’actes hostiles envers des Musulmans, qu’il s’agisse d’insultes, de dégradations de lieux de culte, d’agressions ou de discriminations. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des familles, des enfants qui grandissent avec la peur d’être rejetés dans leur propre pays.
L’enquête publiée par Yahoo Actualités jette une lumière crue sur une réalité que beaucoup refusent de voir en face : Les Musulmans de France vivent dans une insécurité diffuse, psychologique, sociale, morale. Une insécurité qui ne se chiffre pas uniquement en agressions physiques, mais en humiliation quotidienne, en silences forcés, en regards méprisants. Une insécurité qui empêche de se projeter, d’aimer, de construire.
Et pourtant, malgré cela, malgré cette violence larvée, ils continuent d’y croire. Ils croient à la République. Ils veulent y croire. Ils espèrent qu’on les écoutera. Qu’on comprendra que leur combat n’est pas communautariste, mais universaliste. Qu’ils ne demandent pas des privilèges, mais simplement le droit de vivre dignement, comme n’importe quel autre citoyen.
Ce n’est pas à eux de faire un effort d’intégration, car ils sont déjà intégrés. C’est à la société toute entière de se regarder dans le miroir et de se demander : Pourquoi avons-nous laissé s’installer une telle peur ? Pourquoi trois Français Musulmans sur quatre vivent-ils dans la crainte d’être la cible d’une insulte, d’un licenciement abusif, d’un contrôle discriminatoire ?
Cet article n’est pas un appel à la pitié. C’est un cri d’alerte. Un signal d’alarme. Une tentative de rendre visible ce que tant d’entre nous refusent encore de nommer : L’islamophobie rampante qui gangrène le vivre‑ensemble. À force de détourner le regard, nous risquons de perdre bien plus qu’un principe républicain. Nous risquons de perdre notre humanité.
En relayant cette enquête de Yahoo Actualités, MyJournal.fr ne cherche pas à diviser. Il veut au contraire rassembler. En donnant la parole à ceux qu’on n’écoute pas. En posant des questions qui dérangent. En refusant la banalisation de l’inacceptable. Car un pays où 75% de ses citoyens Musulmans ont peur n’est pas un pays en paix. Et cette peur, aujourd’hui, doit cesser d’être tue.