« Aurait-il suffi d’un silence pour qu’on ne voie que la prière, et non l’hommage ? »
À Beyrouth, sous un ciel plombé d’automne, le député Thomas Portes descendait d’un taxi. Les rues labyrinthiques du quartier de Mar Elias s’étendaient devant lui, les murs couverts de graffitis pro-palestiniens, les drapeaux s’agitèrent dans un vent discret. À ses côtés, l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, lui-même réputé proche du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), avançait d’un pas mesuré.
Le 26 septembre, cette matinée paraissait anodine. Mais, pour Portes, elle s’inscrivait dans un engagement militant qu’il nourrit depuis des années autour de la cause palestinienne. Il avait souhaité ce voyage à Beyrouth, loin des caméras françaises, pour approfondir des contacts, comprendre de plus près, et symboliquement affirmer une forme de solidarité.
Ils franchirent les barbelés du cimetière des Martyrs de la Palestine. Là reposent plusieurs figures de la lutte armée palestinienne, mais aussi des auteurs d’attentats qui ont marqué l’histoire du conflit israélo-palestinien. Parmi eux, certains sont liés à l’attentat des Jeux olympiques de Munich en 1972 — où 11 athlètes israéliens ont été assassinés.
Portes, casquette relevée, posa son regard sur une stèle marquée « Najjar ». Mohammed Youssef al-Najjar était l’un des organisateurs reconnus de la tragédie de Munich 1972. À côté, la tombe de Kamal Adwan, également associé à cette opération, portait des gerbes de fleurs.
Certains témoins disent que Portes marcha lentement vers la tombe, s’agenouilla quelques secondes, ferma les yeux, les mains jointes — geste de prière ou de recueillement solennel. Puis il fut rejoint par Hamouri et d’autres représentants du FPLP. Le cliché, publié peu après sur le compte X de Portes, fit le tour des réseaux français.
Le député commenta laconiquement : « À Beyrouth, échange passionnant avec Georges Ibrahim Abdallah sur la situation au Liban et la question palestinienne. » Georges Abdallah, ancien militant libanais condamné en France pour complicité dans des assassinats — relâché ou en liberté conditionnelle selon les sources — était aussi sur les images. La tension monta aussitôt en France.

Réactions en chaîne
À Paris, la droite s’empara du geste comme d’une preuve d’« apologie du terrorisme ». Le député RN Julien Odoul saisit la procureure de la République pour que l’affaire soit poursuivie selon l’article 421-2-5 du Code pénal. Pour Odoul, ce recueillement équivalait à un hommage.
Les défenseurs de Portes firent valoir qu’un geste de mémoire n’est pas nécessairement soutien, et que dans un contexte de guerre, les symboles comptent double. Pour certains observateurs, il s’agissait d’un pari politique très risqué — jouer sur la perméabilité des symboles pour galvaniser un électorat pro-palestinien.
Le contexte, la mémoire, le droit
L’attentat de Munich 1972 reste gravé dans la conscience internationale comme l’un des plus odieux de l’Histoire olympique. Les auteurs appartenaient à des factions palestiniennes liées au FPLP et à d’autres groupes. Leurs tombes au Liban sont perçues, pour certains, comme des lieux de martyr — pour d’autres, comme des sanctuaires du terrorisme.
En France, Le FPLP est classé comme organisation terroriste au regard de la législation européenne. Le débat juridique fut immédiat : Un recueillement est-il assimilable à une apologie ? Le Parquet devra décider de la suite à donner. Le 3 octobre, Le Point publia un article au ton alarmiste : « Quand le député Insoumis Thomas Portes honore des terroristes au Liban », évoquant le rôle de la mémoire combattante et les limites de la liberté d’expression.
Ce que cela révèle
Ce geste est révélateur de plusieurs lignes de fracture :
- La diplomatie parallèle : Portes incarne une forme de politique étrangère hors des circuits officiels — il va sur le terrain, sans délégation officielle, pour faire entendre une voix alternative.
- La mémoire politique : Pour certains militants palestiniens, ces tombes sont celles de « martyrs » — pour beaucoup de Français, elles relèvent de la glorification d’actes terroristes.
- Les risques juridiques : Dans le climat très tendu de l’époque, où la France est soumise aux attentats, la ligne rouge est mince entre mémoire et apologie.
- L’impact médiatique et électoral : La gauche radicale — et tout particulièrement LFI — pourrait polariser l’électorat autour de la cause palestinienne, mais ce type de geste divise autant qu’il galvanise.
Un geste symbolique qui franchit la ligne rouge entre mémoire et provocation
Quand Portes se redressa, les oiseaux arabes du cimetière semblèrent s’envoler. Le vent souffla doucement sur les pierres. Il sut qu’il venait de franchir une frontière symbolique — non celle de la géographie, mais celle du discours politique. En rentrant sur le sol français, il allait devoir porter le poids de ce geste, entre accusation et légitimation, dans un climat historiquement chargé.
Mais dans le fond, une seule certitude : Cette image restera gravée dans les esprits, bien au-delà des mots. Une image qui ne se verra pas seulement comme un recueillement, mais comme une prise de position, un acte politique dans un contexte où chaque geste est scruté, pesé, jugé.