Alexandre : « Peut-on vraiment vivre dignement en surveillant les routes pour le compte de l’État, derrière les vitres fumées d’une voiture-radar, tout en restant invisible aux yeux des automobilistes ? »
Dans l’ombre, mais au cœur de la route : La vie d’un conducteur de voiture-radar
Il est 6h du matin quand Julien, 42 ans, boucle sa ceinture dans une Peugeot 308 gris métallisé. De l’extérieur, rien ne la distingue d’un véhicule ordinaire. Pas de gyrophare, pas de sirène. Pourtant, dès que le moteur ronronne, elle devient un instrument redoutable pour des milliers d’automobilistes : Une voiture-radar.
Julien n’est pas fonctionnaire. Il ne travaille pas pour la gendarmerie, ni pour la police nationale. Il est salarié d’un prestataire privé mandaté par l’État pour faire fonctionner ces véhicules qui flashent automatiquement les excès de vitesse. En 2025, la France en compte plus de 400, et leur présence continue de s’étendre.
« Je suis payé pour rouler, surveiller, verbaliser… mais sans jamais intervenir », confie Julien, qui a accepté de témoigner pour MyJournal.fr sous couvert de semi-anonymat. « Mon métier, c’est d’être un œil passif. »
Un recrutement discret, mais massif
Depuis plusieurs années, les préfectures délèguent une partie des missions de contrôle routier à des entreprises privées, comme Mobiom, Geos, Atos, ou Ferrovia. Le conducteur de voiture-radar est recruté en CDI, généralement au SMIC + primes, soit entre 1 500 et 1 900 € net par mois.
« J’ai été recruté après une formation de deux jours et une évaluation psychotechnique », explique Julien. « Il faut savoir rester concentré pendant des heures, respecter scrupuleusement les consignes, et ne surtout pas interagir avec les automobilistes. »
Le véhicule suit un itinéraire prédéfini, transmis chaque matin. La conduite est automatisée : Le radar embarqué calcule la vitesse, photographie les plaques et transmet tout en temps réel aux services de l’État.
« On ne fait pas de quota. Mais les trajets sont choisis pour leur rentabilité en infractions. »
Ce que vous ne voyez pas depuis votre rétroviseur
Julien passe 8 à 9 heures par jour dans sa voiture, seul. Par tous les temps, sur les routes départementales, nationales ou à la sortie des villes. Il ne peut pas écouter de musique. Il ne peut pas téléphoner. Il ne peut même pas arrêter le véhicule hors des points de pause prévus par l’itinéraire.
« Je ne suis pas maître de mon parcours. Mon travail, c’est de suivre à la lettre le GPS embarqué, même s’il me fait passer trois fois au même endroit. »
Le radar embarqué est invisible à l’œil nu, mais fonctionne en permanence, même à l’arrêt. Une infraction est constatée automatiquement à partir de 5 km/h au-dessus de la vitesse autorisée. « Je vois les flashs s’accumuler. Parfois 300, 400 infractions dans la journée. »
Un métier critiqué, mais légalement encadré
Si les voitures-radars privées font polémique, elles respectent un cadre légal strict, posé par la réforme de 2018. Depuis, l’État assure que :
- Les itinéraires sont décidés par les préfectures ;
- Les voitures ne circulent jamais dans les zones 30 ou en agglomération dense ;
- Le prestataire privé ne touche aucune commission sur le nombre d’amendes.
« Pourtant, je ressens une pression sourde. Pas pour flasher plus, mais pour être rentable. »
Entre solitude et rejet social
Julien ne parle à personne pendant ses tournées. Il ne doit pas interagir. Il n’a pas le droit d’avertir un conducteur, ni de l’interpeller. Il est le rouage silencieux d’un dispositif automatisé.
« Une fois, un motard m’a suivi jusqu’à ma pause et m’a insulté. Une autre fois, un automobiliste m’a photographié, a posté mon visage sur Facebook. Depuis, je mets une casquette et des lunettes. »
À la pause déjeuner, dans une station-service, Julien garde les vitres closes. Il mange seul dans la voiture. « Je ne dis pas que je suis conducteur de voiture-radar. Sinon, je perds toute conversation. »
Et après ? Une carrière sans avenir
Il n’y a pas d’évolution. Pas d’augmentation rapide. « On roule. C’est tout. Et après 10 ans, on roule encore. » Julien envisage déjà de changer de métier. Pas à cause de la fatigue. Mais du vide.
« Ce métier ne construit rien. Il ne crée aucun lien. Il vous isole du monde réel tout en le surveillant à distance. »
La France du flash automatique : Une stratégie assumée
En 2025, près de 5 millions d’infractions ont été relevées par des voitures-radars opérées par des sociétés privées. Cela représente plus de 60% des contraventions pour excès de vitesse sur les routes françaises. Le gouvernement y voit un succès.
« L’automatisation permet de libérer les forces de l’ordre pour d’autres missions », justifie le ministère de l’Intérieur.
Mais sur le terrain, les critiques fusent : Effet anxiogène, absence de pédagogie, rentabilité déguisée…
Un métier entre les lignes, au cœur d’un débat national
Julien est ce Français moyen qui surveille les autres Français. Il ne verbalise pas avec zèle. Il suit son GPS, comme une ombre sur l’asphalte.
« On me reproche de trahir les automobilistes, mais je ne suis qu’un salarié parmi d’autres. Ce n’est pas moi qui envoie l’amende. Je ne fais qu’exister entre deux flashs. »
Dans une société de plus en plus automatisée, la voiture-radar privée interroge notre rapport à la surveillance, à la sanction… et au travail invisible.
Moi, je soutiens complètement ce système. Il y a trop de chauffards sur les routes, trop de gens qui roulent vite, qui téléphonent au volant, qui mettent les autres en danger. Si ces voitures-radars peuvent calmer un peu les comportements dangereux, tant mieux.
Et puis honnêtement, si on respecte les limitations, on n’a rien à craindre. Je roule tous les jours, je n’ai jamais été flashée. Ce ne sont pas des pièges, ce sont des outils.
Quant au fait que ce soit des conducteurs du privé, je ne vois pas le problème. Tant que c’est encadré, qu’ils respectent la loi, et que ça permet aux policiers de se concentrer sur d’autres missions, c’est logique.
Ceux qui râlent sont souvent ceux qui se savent en tort. Moi, j’ai perdu un proche à cause d’un excès de vitesse. Alors si ces voitures peuvent sauver ne serait-ce qu’une vie, ça vaut largement quelques amendes.
Franchement, je trouve ça aberrant. On remplace les gendarmes par des boîtes privées qui roulent toute la journée pour piéger les gens ? Et après on ose dire que ce n’est pas une histoire d’argent ?!
Ces voitures-radars pilotées par des civils, on les croise tous les jours, planquées sur les nationales ou à la sortie des villages. Tu ne vois rien venir, tu reçois une amende par la poste… et tu ne peux même pas te défendre ! Le conducteur n’interagit pas, ne peut rien expliquer, ne vérifie rien. C’est une machine qui juge et sanctionne.
Et pendant ce temps-là, les vrais dangers — ceux qui roulent sans permis, sans assurance, ou en conduisant bourrés — eux, ils passent à travers. On préfère viser le mec pressé qui dépasse de 8 km/h au lieu d’aller sur le terrain.
Et puis payer des types pour faire ce boulot ? Désolé, mais pour moi c’est de la sous-traitance de la répression. On n’est plus dans la prévention, on est dans le business du flash. Tout ça pour quoi ? Pour remplir les caisses de l’État.
Non, désolé, je n’adhère pas. C’est une dérive inquiétante.