« J’étais pourtant un gaulliste convaincu… Mais face à la dérive de la gauche radicale, ai-je eu tort de glisser un bulletin RN dans l’urne ? » — Question posée par Jean‑Michel.
Il y a encore quelques mois, certains parlaient de barrage républicain. D’autres évoquaient un « cordon sanitaire » à maintenir à tout prix. Mais la dynamique politique née des élections européennes de 2024 puis amplifiée par la dissolution surprise de l’Assemblée Nationale a bousculé toutes les certitudes. Dans les coulisses des Républicains, le malaise était palpable, mais la tentation n’était plus taboue : Face à une gauche unie sous le label du Nouveau Front Populaire, certains cadres de droite ont préféré choisir ce qu’ils appellent désormais « le moindre mal », voire, pour d’autres, « l’alternative de bon sens ».
Cette alternative, c’est le Rassemblement National.

Ce glissement n’a pas eu lieu en un jour. Il est le fruit de longues années d’évolution idéologique, de frustrations électorales et d’un sentiment d’abandon de la part des élites politiques traditionnelles. Quand Éric Ciotti a publiquement appelé à un accord électoral avec le RN en juin 2024, il n’a fait qu’officialiser une fracture déjà bien entamée. Car dans les territoires, à la base, chez les militants, chez les électeurs âgés, chez les retraités comme chez les artisans, cette préférence était déjà là, nourrie par des préoccupations concrètes : Sécurité, immigration, perte d’identité, désordre social, et surtout, peur d’une gauche jugée extrême et dangereusement utopique.
À ce titre, le programme du RN porté par Jordan Bardella tranche par sa clarté et sa lisibilité. Il s’articule autour de priorités régalières et nationales : Priorité nationale à l’emploi, durcissement de l’accès aux aides sociales pour les étrangers, suppression du droit du sol, expulsion des étrangers délinquants, baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, lutte contre l’insécurité, défense des forces de l’ordre, limitation drastique de l’immigration légale comme illégale, et retour à une souveraineté énergétique et industrielle. Sur l’école, le RN souhaite revenir aux fondamentaux, en mettant fin aux expérimentations pédagogiques jugées inefficaces, en réhabilitant l’autorité des enseignants et en interdisant l’écriture inclusive.
À gauche, le programme du Nouveau Front Populaire, sous l’impulsion de LFI et Jean-Luc Mélenchon, est tout autre. Il se veut profondément social, mais suscite la méfiance de nombreux électeurs de droite modérée. Le NFP propose une hausse du SMIC à 1 600 euros nets, le blocage des prix sur l’énergie et les produits alimentaires, le rétablissement de l’ISF, la retraite à 60 ans, une régularisation massive des sans-papiers, un accueil renforcé des migrants, la désobéissance aux règles budgétaires européennes et une refonte complète des institutions. Pour beaucoup d’élus LR, ces propositions apparaissent comme déconnectées des réalités budgétaires et incompatibles avec les principes de la Vᵉ République. L’hyperprésidentialisme de Mélenchon, son refus d’appeler à calmer les émeutes urbaines, et ses ambiguïtés sur la laïcité, achèvent de convaincre les plus hésitants à regarder vers le RN.
Derrière ce basculement, ce n’est pas seulement une question d’alliances électorales. C’est une vision du monde qui s’affirme. Là où la gauche parle de déconstruction, d’intersectionnalité, d’anticolonialisme et de lutte systémique, le RN évoque enracinement, ordre, transmission et souveraineté. Là où LFI propose la gratuité pour les transports en commun, le RN préfère parler de lutte contre la fraude sociale. Là où le NFP veut renationaliser la totalité du secteur de l’énergie, le RN évoque plutôt un patriotisme économique respectueux des entreprises. Pour un nombre croissant d’électeurs LR, cette orientation est moins extrême qu’elle n’y paraît. Elle incarne un retour à des fondamentaux : Nation, famille, autorité, responsabilité.

Certes, cette préférence ne fait pas l’unanimité au sein des Républicains. Certains élus comme Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse ont refusé tout rapprochement avec le RN, considérant que cette alliance mettrait fin à la droite républicaine. Mais sur le terrain, beaucoup d’électeurs LR ont franchi le pas sans états d’âme. Ils préfèrent un Jordan Bardella poli, jeune, à l’élocution impeccable, à un Jean-Luc Mélenchon criard, en guerre avec les journalistes et constamment accusé de clientélisme communautaire.
Les chiffres ne mentent pas. À chaque élection, le RN progresse. Sa base électorale se diversifie, gagne les catégories populaires comme les classes moyennes, capte les ouvriers comme les petits patrons. Le Front Populaire, malgré sa volonté d’union, reste prisonnier d’un positionnement très à gauche qui inquiète les centristes. Entre une gauche qui promet tout sans chiffrage crédible et une droite qui se divise, le RN est apparu à beaucoup comme un parti de plus en plus sérieux, prêt à gouverner.
Il reste des lignes rouges pour certains. Mais elles s’estompent à mesure que la gauche se radicalise et que la société s’inquiète. Des quartiers entiers livrés au trafic, des classes sans enseignants, des policiers désabusés, une ruralité oubliée, des frontières poreuses… Ce constat nourrit une forme de résignation stratégique : Si l’on veut éviter le chaos social, certains préfèrent un encadrement strict, une ligne claire. Ce que propose aujourd’hui Jordan Bardella.
Ainsi, à rebours des cris d’orfraie de la gauche et des appels au front républicain, une autre musique monte. Celle de la droite conservatrice, d’une France silencieuse mais déterminée, qui ne croit plus aux grands mots mais aux actions concrètes. Cette France-là, de plus en plus nombreuse, estime qu’entre deux extrêmes, mieux vaut choisir celui qui garantit encore un cadre, des frontières, une identité. Quitte à bousculer les anciens tabous.