Clara se demande : « Et si, tout comme cette enseignante oubliée depuis 16 ans, vous saviez que vous percevez un salaire complet sans jamais refaire acte de présence — Comment réagiriez‑vous face à un contrôle imposé ? »
Elle s’appelait bien sur les feuilles de paie. Elle existait dans les bases de données. Sur les bulletins de virement, son nom était bien là, suivi d’un montant compris entre 5 051 et 6 174 euros chaque mois.
Pourtant, personne ne la croisait dans les couloirs du Berufskolleg de Wesel, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Depuis 2009, cette professeure de biologie et de géographie, fonctionnaire allemande, n’a plus jamais remis un pied en classe.
Elle était officiellement en arrêt maladie, pour troubles psychiques. Une situation banale en apparence. Sauf que son dossier, lui, n’a jamais été suivi, ni contrôlé. Aucun médecin mandaté par l’État n’a été désigné pour vérifier sa situation. Aucun supérieur n’a cherché à savoir pourquoi son absence s’éternisait. Et pendant ce temps, les salaires continuaient à tomber. Plein pot. À 100%. Pendant seize ans.
L’affaire a éclaté récemment, à la faveur d’un audit interne mené en 2024. Ce n’est pas un lanceur d’alerte, ni un proche. Non. Juste un fonctionnaire consciencieux qui s’interroge en voyant apparaître un nom inconnu sur les fiches de paie du personnel. Il cherche, fouille, remonte le temps. Il découvre une longue absence qui dure depuis 2009. Personne ne semble se souvenir de cette femme. Pire encore : Le directeur actuel de l’établissement, en poste depuis 2015, avoue publiquement n’avoir « jamais entendu parler d’elle ». Et pour cause : Elle n’était plus là depuis longtemps, mais personne ne l’avait remarqué.
Au total, ce sont plus d’un million cent quarante mille euros qui ont été versés à cette enseignante absente depuis seize ans. Une somme astronomique. Et ce, dans l’indifférence la plus totale. C’est cette révélation qui pousse la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, son employeur public, à enfin réagir. Pour régulariser la situation, les autorités lui demandent de se soumettre à un examen médical officiel, comme le prévoit la loi pour tout fonctionnaire en arrêt maladie de longue durée. Une procédure normale, même tardive. Mais au lieu d’accepter, l’enseignante… refuse.
Contre toute attente, elle décide même d’attaquer la région en justice. Selon elle, cette convocation serait illégale. Un abus. Elle estime qu’elle n’a pas à justifier son état de santé, après tant d’années d’absence. Ce renversement de situation, ahurissant, scandalise l’opinion publique allemande et ébranle les institutions. Car c’est désormais elle, la fonctionnaire fantôme, qui se pose en victime.
La justice administrative est saisie. L’affaire remonte jusqu’à la Cour administrative supérieure, qui rend sa décision début septembre 2025. Le verdict est sans appel : Le contrôle médical est obligatoire, et refuser de s’y soumettre expose à des sanctions. L’enseignante doit obtempérer. Faute de quoi, elle risque la suspension du versement de son salaire, voire la perte de son statut de fonctionnaire. C’est un tournant majeur dans cette histoire rocambolesque, mais la principale intéressée continue de s’opposer fermement à cette obligation.
Mais ce n’est pas tout. Car plus on avance dans le dossier, plus les zones d’ombre s’épaississent. D’après plusieurs sources relayées par la presse allemande et confirmées par Le Parisien, la professeure possèderait deux appartements à Duisbourg, dans lesquels elle aurait emménagé sans que cela ne soulève d’alerte. Certains évoquent même la création d’une start-up médicale à son nom, ce qui, si cela est avéré, constituerait une violation grave de ses obligations de fonctionnaire. En Allemagne, comme en France, un agent public en arrêt maladie ne peut exercer une activité professionnelle rémunérée sans en informer son administration. Ce double-jeu, s’il est confirmé, pourrait aggraver sa situation juridique.
Mais au-delà du cas individuel, c’est l’administration tout entière qui se retrouve sur le banc des accusés. Car cette affaire met en lumière un dysfonctionnement profond : L’absence totale de suivi, l’incapacité des services à vérifier l’aptitude au travail de leurs agents, et une chaîne de commandement incapable de détecter une anomalie aussi énorme qu’un salarié invisible pendant seize ans. Même la ministre de l’Éducation de la région, Dorothee Feller, s’en est émue publiquement, avouant : « Je n’ai jamais vu un tel cas dans ma carrière. »
Cette histoire ne se résume donc pas à une simple fraude, ni même à un abus de droit. Elle devient le symbole d’un système à bout de souffle, rongé par les lenteurs administratives et une culture du non-contrôle. Et pendant que des milliers de jeunes enseignants peinent à obtenir des postes, ou que des collègues croulent sous le surmenage, une seule personne, absente depuis 2009, a réussi à traverser le temps sans être inquiétée, tout en conservant un niveau de vie supérieur à la moyenne.
En France, cette affaire fait écho à des débats récurrents sur les arrêts maladie abusifs, le suivi médical des fonctionnaires, ou encore la gestion des ressources humaines dans le secteur public. Certains responsables politiques en profitent pour réclamer un durcissement des contrôles. D’autres, au contraire, rappellent que la maladie mentale n’est pas toujours visible, et qu’il faut respecter la dignité des personnes en souffrance.
Mais il reste un fait indéniable : Cette enseignante n’a pas été contrôlée pendant 16 ans. Et lorsque son employeur l’a enfin convoquée, c’est elle qui a décidé d’engager une procédure judiciaire contre l’État. Cette inversion des rôles choque, interroge, et alimente un débat qui ne fait que commencer.
Aujourd’hui encore, cette professeure perçoit son salaire. La justice a tranché : Elle devra passer un examen médical. Si elle est jugée inapte, elle pourrait être mise en retraite anticipée, avec une pension moindre que son salaire actuel. Si elle est jugée apte, elle devra reprendre son poste après seize années d’absence. Une décision à laquelle elle semble se préparer… en bataillant jusqu’au bout.
🔎 Article rédigé à partir des faits publiés par Le Parisien dans son article du 10 septembre 2025.