CNews d’extrême droite ? Les mots d’Ernotte soulèvent un débat tendu sur le pluralisme dans les médias français.

La Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, accuse CNews d’être une chaîne d’extrême droite

SOCIETE
Delphine Ernotte accuse CNews d’être une chaîne d’extrême droite

Le 17 septembre 2025, une voix s’est élevée dans le brouhaha médiatique français, une voix ferme, claire, tremblante peut-être mais résolue : Celle de Delphine Ernotte, Présidente de France Télévisions. Dans une interview accordée au journal Le Monde, elle a brisé le silence, désignant sans détour la chaîne CNews comme une « chaîne d’extrême droite ». En une phrase, le masque est tombé. Les tensions longtemps contenues dans les coulisses du paysage audiovisuel français sont apparues au grand jour, crues, brutes, tranchantes. Ce n’était plus un simple débat sur la pluralité de l’information : C’était un cri d’alerte, un appel au secours. Et peut-être, aussi, une déclaration de guerre.

Delphine Ernotte n’est pas une novice de la communication. Elle connaît les codes, les formules calibrées, les éléments de langage aseptisés. Mais cette fois, elle a choisi la franchise. Une audace qui en dit long sur l’état d’urgence dans lequel elle considère que se trouve aujourd’hui l’audiovisuel public. Elle évoque une campagne « insidieuse » de dénigrement orchestrée par la galaxie médiatique Bolloré. Une stratégie, selon elle, pensée, structurée, répétée, qui viserait un seul but : Faire tomber les piliers historiques de l’information indépendante en France. Et au centre de cette offensive, CNews.

CNews, justement. La chaîne ne se revendique pas comme telle, mais ses éditorialistes, ses choix de programmation, ses invités réguliers et ses partis pris ont fait dire à plus d’un observateur qu’elle flirtait dangereusement avec les lignes de l’extrême droite. Pour Delphine Ernotte, ce n’est plus une impression, c’est un fait. Elle le dit avec une froideur méthodique : « CNews est une chaîne d’extrême droite. Il faut dire les choses. » Le choc est immense. Car ce jugement n’est pas celui d’un adversaire politique, mais celui d’une haute fonctionnaire, garante d’une institution censée représenter la neutralité du service public. En le disant, elle sait qu’elle déclenche un séisme. Mais elle le fait quand même.

Depuis plusieurs années déjà, la montée en puissance de CNews inquiète dans les cercles journalistiques. La ligne éditoriale, marquée par des figures controversées comme Éric Zemmour, Pascal Praud ou encore Charlotte d’Ornellas, a transformé la chaîne en une tribune quotidienne de l’indignation conservatrice. Chaque soir, on y dénonce l’immigration, on y critique les minorités, on y attaque les services publics, l’écologie, la gauche, les syndicats, les profs, les fonctionnaires, les artistes, les chercheurs, les musulmans, les LGBT, les étrangers. Et ceux qui s’en offusquent sont immédiatement traités de « bien-pensants » ou de « censeurs woke ».

Ce glissement idéologique, certains le voyaient venir. D’autres l’ont nié. Delphine Ernotte, elle, a décidé de le nommer. Et derrière sa dénonciation se cache un enjeu plus vaste, plus profond : La survie même de l’audiovisuel public.

Car ce que dénonce la Présidente de France Télévisions, ce n’est pas seulement une orientation éditoriale. C’est une stratégie industrielle et politique. Vincent Bolloré, propriétaire de Vivendi, actionnaire majoritaire de Canal+, contrôlant aussi Europe 1, Le JDD et Paris Match, a bâti en quelques années un empire médiatique. Mais selon Ernotte, cet empire n’a rien d’anodin. Elle parle d’un projet politique, d’une offensive qui vise à imposer une vision unilatérale du monde, à discréditer toutes les voix divergentes, à affaiblir les contre-pouvoirs. Et parmi ces contre-pouvoirs, l’audiovisuel public tient une place centrale.

Elle rappelle que le service public, contrairement aux idées reçues, est soumis à des règles strictes de pluralisme, de vérification, de redevabilité. Que les chaînes publiques n’appartiennent à aucun groupe industriel, qu’elles ne dépendent d’aucune publicité privée, qu’elles ne servent aucun actionnaire. Qu’elles appartiennent à tous. C’est cette exception française que, selon elle, la galaxie Bolloré veut faire tomber.

Delphine Ernotte accuse CNews d’être une chaîne d’extrême droite

Les accusations d’Ernotte ne s’arrêtent pas là. Elle dénonce les pressions politiques, les attaques budgétaires, les tentatives de décrédibilisation. Elle évoque des discours ministériels qui tournent en boucle sur la supposée inefficacité ou partialité du service public, des discours relayés et amplifiés par des éditorialistes militants qui se veulent journalistes. Elle accuse l’État de faiblesse. Et réclame une réaction.

Car ce combat, elle ne peut pas le mener seule. Elle appelle à une prise de conscience politique. Elle veut que les parlementaires, les associations, les citoyens défendent l’existence même du service public. Elle parle de financement, bien sûr, mais aussi de reconnaissance. Elle demande que CNews soit officiellement considérée comme un média d’opinion, ce qui l’obligerait à respecter des règles spécifiques en matière de pluralisme et de signalement. Une demande adressée à l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel. Mais aussi un geste fort, presque symbolique.

Mais ce cri sera-t-il entendu ? Car dans cette France de 2025, les rapports de force ont changé. Le pouvoir politique, fragilisé, multiplie les concessions à l’opinion. Et l’opinion, elle, est largement façonnée par les médias qu’elle consomme. Lorsque CNews fait ses meilleures audiences précisément quand elle martèle les mêmes idées chaque jour, peut-on encore compter sur une régulation lucide et impartiale ? Lorsque des élus eux-mêmes s’alignent sur les éditoriaux les plus durs de la chaîne, peut-on espérer un sursaut ?

Delphine Ernotte sait qu’elle risque gros. En accusant frontalement CNews, elle s’expose à des représailles, à des attaques personnelles, à une guerre de l’image. Mais elle n’est pas seule. Aux côtés de Radio France, de l’INA, de France Médias Monde, elle forme un front que la galaxie Bolloré veut faire tomber. Ce n’est pas une hypothèse, c’est, selon elle, une certitude.

Et dans cette bataille, il ne s’agit plus seulement de chaînes de télévision. Il s’agit de démocratie. D’espace public. De vérité. D’indépendance. Il s’agit de savoir si, en 2025, les Français veulent encore croire en une information qui ne soit pas un spectacle, en un journalisme qui ne soit pas une arme. Il s’agit de choisir si l’on veut des médias pour penser, ou des médias pour dominer.

Le Monde, dans son édition du 18 septembre 2025, a servi de caisse de résonance à cette prise de parole rare. Mais la suite, elle, s’écrira ailleurs. Dans les rédactions. Dans les urnes. Dans les rues. Et peut-être dans le silence inquiet des citoyens, qui sentent que quelque chose est en train de basculer.

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