Camille se demande : « Si je perds mes APL l’année prochaine, où vais-je dormir ? Chez mes parents à 27 ans ? »
« Sans APL, pas d’appartement » : Ces cinq mots murmurés par Jérôme, 23 ans, résonnent comme un cri silencieux dans une France en mutation.
Il vit dans les Pyrénées-Atlantiques, une région paisible, mais où la flambée des loyers et la précarisation rampante tissent, sans faire de bruit, les contours d’une crise sociale redoutable. En avril dernier, Jérôme a perdu son emploi en alternance. Depuis, il survit grâce à une allocation chômage de 700 euros et à une APL de 350 euros. C’est cette aide, vitale, qui lui permet de rester dans sa petite chambre de résidence sociale, louée 410 euros par mois.
Sans l’APL, Jérôme serait déjà retourné vivre chez ses parents. Mais à son âge, ce serait un échec, un retour en arrière amer. « Si je perds cette aide, je suis foutu », résume-t-il, le regard baissé. Le jeune homme est représentatif d’une génération entière : Celle des actifs précaires, des alternants, des jeunes salariés au Smic, des contractuels qui survivent à coups de petites missions… et de grandes angoisses.
Le spectre d’un gel brutal
Fin juillet 2025, la nouvelle tombe : François Bayrou, Haut-commissaire au Plan, propose dans son rapport une mesure choc pour contenir les dépenses publiques en 2026. Son idée ? Geler toutes les prestations sociales : RSA, APL, allocations familiales, prime d’activité. Rien ne serait supprimé, certes, mais tout serait figé. Pas de revalorisation, pas d’adaptation à l’inflation.
Une année blanche. Une pause budgétaire, dit-on. Mais pour les bénéficiaires, ce serait un recul social majeur. Car pendant ce temps-là, les loyers grimpent. Les charges explosent. Et les prix de l’alimentation continuent leur ascension délirante.
Des experts stupéfaits, des associations furieuses
Aude Pinault, déléguée générale de l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj), est en colère. « L’APL est souvent le dernier rempart avant la rue. Geler les prestations, c’est comme retirer les cannes à un aveugle », lâche-t-elle. D’autant que l’APL ne couvre déjà qu’une partie du loyer : Entre 30% et 60%, selon les cas.
Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, se dit « abasourdi ». Lui qui milite depuis des années pour une revalorisation régulière de l’APL explique : « L’aide au logement augmente deux fois moins vite que les loyers, et trois fois moins vite que les charges. Ce gel, c’est la goutte d’eau. »
L’exemple de Mamadi : Tout tient à 110 euros
À Paris, Mamadi, 20 ans, est apprenti dans un garage. Il a été accidenté il y a deux mois. Désormais en arrêt maladie, il touche 600 euros… plus une APL de 110 euros. Il paie un loyer de 500 euros dans une chambre exiguë du 18e arrondissement. « Sans l’APL, je dois déménager. Et aller où ? Sous un pont ? », ironise-t-il, sans vraiment plaisanter.
Pour lui, le gel de l’aide serait un couperet. Il ne bénéficie pas du RSA – interdit aux moins de 25 ans – et ne touche pas de soutien familial. Mamadi fait partie de cette France invisible, celle qui n’est ni étudiante, ni à la rue, ni chômeuse, mais qui peine chaque mois à joindre les deux bouts.
Des effets en chaîne dramatiques
Le gel de l’APL pourrait aussi décourager les bailleurs à accepter des profils déjà fragiles. Pour beaucoup de propriétaires, l’APL constitue une garantie indirecte, un paiement sûr qui rassure. La disparition de sa progression, même temporaire, risque d’aggraver la discrimination à la location.
Les professionnels du logement s’inquiètent d’un désengagement de l’État dans un contexte de flambée immobilière. Certains parlent déjà d’une « bombe sociale à retardement ». D’autres d’un « abandon programmé des plus pauvres ».
Le budget 2026, bras de fer politique
Le gel des aides sociales n’est pour l’heure qu’une hypothèse. Mais une hypothèse sérieusement étudiée. François Bayrou, fidèle du président Macron, justifie cette proposition par une impérieuse nécessité : Réduire le déficit public et contenir la dette. Mais ce choix, s’il est acté, risque de provoquer une levée de boucliers dans la société civile.
À gauche, les députés NUPES dénoncent « une punition des plus précaires ». À droite, certains élus LR se montrent favorables, jugeant les aides sociales « trop généreuses ». Le Rassemblement national, lui, reste flou, jouant sur tous les tableaux.
Et maintenant ?
Jérôme, Mamadi, Camille… Ils sont des milliers, des millions peut-être, à vivre dans une tension permanente. L’aide au logement n’est pas une prime de confort, c’est une condition de survie.
Si le gouvernement va jusqu’au bout de ce gel, la France de 2026 pourrait voir revenir en force ce qu’elle croyait avoir effacé : Les marchands de sommeil, les squats insalubres, les files d’attente interminables à la CAF, les refus en cascade à l’entrée des logements.
Une France sans APL, est-ce encore la France ?
Car derrière ce que l’on nomme pudiquement « gel des prestations sociales », il y a des visages. Des drames. Des renoncements. Et peut-être, demain, des colères sociales. La question n’est plus technique. Elle est humaine. Politique. Morale.
À l’heure où le gouvernement demande « un effort » à tous les Français, la question demeure : Peut-on raisonnablement demander aux plus pauvres de faire les plus gros sacrifices ?