« Peut-on vraiment être protégé par la justice française lorsqu’on entame une transition de genre en tant que demandeur d’asile ? »
Il s’appelait Amir lorsqu’il a posé les pieds sur le sol français, un matin gris d’octobre, dans une gare routière de la banlieue lyonnaise. Mais au fil des mois, au fil des silences brisés, il est devenu Anna. Une mue identitaire aussi intime que politique, une urgence de survie autant qu’une quête de soi. Et c’est cette mutation, invisible aux yeux de ceux qui ne cherchent pas à comprendre, qui vient de bouleverser l’interprétation du droit d’asile en France.
L’histoire commence loin d’ici, dans un pays que nous ne nommerons pas, pour préserver son anonymat. Là-bas, la simple évocation d’une identité de genre non conforme au sexe biologique est un crime. Pas un péché religieux ou un tabou social : Un crime puni par la loi, assorti de violences institutionnalisées. Amir, alors âgé de 22 ans, y vivait sous le joug d’une famille patriarcale et d’un régime qui l’épiait, le menaçait, l’étouffait. Depuis l’adolescence, il sentait cette dissonance entre ce que le monde attendait de lui et ce qu’il ressentait profondément. Il vivait dans un corps qui ne lui appartenait pas, avec un prénom qui le trahissait à chaque fois qu’il le prononçait.
Son salut, il l’a imaginé en France. Non pas comme une terre promise, mais comme un espace de respiration, un interstice de liberté dans une existence corsetée par la peur. À son arrivée, Amir a déposé une demande d’asile. Ses motivations ? Persécutions liées à son orientation sexuelle. Un dossier classique dans la forme, mais déjà complexe dans le fond : Car s’il n’avait pas encore commencé sa transition de genre, elle habitait déjà chaque pensée, chaque projection de son avenir.
Le dossier a été rejeté. L’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), puis la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), ont considéré que les risques de persécution dans son pays d’origine n’étaient pas suffisamment caractérisés. Pour eux, rien ne démontrait qu’Amir courait un danger immédiat en cas de retour. L’expulsion a été ordonnée.
Mais entre-temps, quelque chose d’essentiel s’était produit.
Avec l’aide de plusieurs associations LGBT+ locales, Amir avait commencé sa transition. Traitements hormonaux, accompagnement psychologique, démarches administratives : Il n’était plus Amir, il était désormais Anna. Et ce n’était pas un simple changement de prénom sur un papier. C’était une révolution intime, un cri d’existence. Elle s’habillait différemment, se présentait au monde comme une femme, assumait pleinement une identité qui, dans son pays d’origine, l’aurait condamnée.
Lorsqu’elle a reçu l’avis d’expulsion, Anna s’est effondrée. Non pas par peur de quitter la France, mais par certitude de ne pas survivre à son retour. Car retourner là-bas, en tant que femme trans, c’était s’exposer à la torture, à la détention arbitraire, aux viols correctifs, à la mort lente dans l’ombre des cellules d’isolement.
Son avocate, Me Claire L., a décidé de saisir en urgence le tribunal administratif de Lyon. Elle a plaidé l’inédit, l’invisible, l’inacceptable. Car pour la première fois, il ne s’agissait pas seulement d’une orientation sexuelle, mais d’un processus de transition engagé, visible, irréversible. Une évolution qui modifiait radicalement les conditions de sécurité en cas de retour.
Et le 26 mars 2025, dans une décision aussi rare que puissante, le tribunal a annulé l’expulsion.
Dans les attendus du jugement, les magistrats soulignent que la situation personnelle d’Anna a « substantiellement évolué » depuis l’examen initial de sa demande d’asile. Ils reconnaissent que sa transition de genre constitue un motif nouveau et sérieux de crainte de persécution en cas de retour. Ils rappellent que la France est tenue, au regard de la Convention de Genève, de protéger les personnes menacées en raison de leur identité de genre.
Cette décision marque un tournant. Elle reconnaît pleinement, juridiquement, que le genre n’est pas une abstraction ou une revendication idéologique, mais une réalité vécue, vécue parfois au péril de sa vie. Elle ouvre aussi la voie à une jurisprudence nouvelle, à une lecture plus humaine du droit d’asile.
Anna, elle, a pleuré. Longtemps. Elle a remercié sa nouvelle famille d’accueil, son avocate, les bénévoles qui l’ont soutenue. Elle a soufflé. Elle a dit : « Je peux enfin me projeter dans demain. »
Elle sait que le chemin est encore long. Que ses papiers doivent être régularisés. Que sa transition médicale n’est pas terminée. Qu’elle devra vivre avec le souvenir d’un passé brisé. Mais elle sait aussi que la France, cette terre parfois rude mais toujours debout, a reconnu son droit d’exister.
Et quelque part, dans un petit appartement de Lyon, une jeune femme regarde désormais l’avenir droit dans les yeux.