Enquête sur l’enfer carcéral en période de canicule : quand l’administration pénitentiaire tente de calmer la colère qui monte.

Canicule dans les prisons françaises : Des détenus étouffent à 50°C dans des cellules surpeuplées

SOCIETE

Sous un soleil de plomb, derrière les barreaux, l’enfer devient quotidien

Il est 15H à Carcassonne. Le soleil frappe violemment les murs d’un établissement pénitentiaire dont les fondations remontent à une autre époque. Dehors, 36°C. Dedans, bien pire. Dans une cellule de 9 m² sans climatisation ni aération digne de ce nom, cinq hommes tournent en rond, torse nu, la peau brillante de sueur, le souffle court. Il fait 50°C. Oui, 50°C. Et cela ne relève pas de la métaphore.

Yoann Verschelle, surveillant pénitentiaire depuis 22 ans, n’en revient toujours pas. « On a appelé le médecin, puis le SAMU. L’un des gars faisait un malaise. Ce n’est pas une cellule, c’est un four. Et nous, on reste là, à attendre que ça pète. »

L’épisode n’est pas isolé. Depuis plusieurs jours, une vague de chaleur accable la France. Si les rivières débordent de baigneurs et les climatiseurs tournent à plein régime dans les foyers, les détenus, eux, n’ont que du béton pour s’abriter… et souvent, pas même une fenêtre ouvrable.

Des cellules surpeuplées et invivables : La chaleur comme peine invisible

À Nîmes, dans le Gard, le thermomètre grimpe, lui aussi. « On est à trois dans une cellule de 10 m² où il fait 40°C », dénonce un détenu dans un appel relayé par un surveillant. À Marseille, aux Baumettes, des températures similaires sont enregistrées. Et il n’est pas rare que des détenus tentent de mouiller draps et vêtements pour les poser sur la grille d’aération, espérant faire baisser la température.

Mais rien n’y fait. Car la vraie cause, au-delà du soleil de plomb, c’est la surpopulation carcérale. Au 1er juillet 2025, la France comptait plus de 74 513 personnes incarcérées pour une capacité théorique de 61 000 places. Certaines prisons frôlent les 200% de taux d’occupation.

Quand il fait chaud dans une maison bien ventilée, on ouvre une fenêtre, on allume un ventilateur. Mais dans une cellule de 9 m², avec trois ou cinq hommes, des matelas posés à même le sol, des sanitaires collés au lit, le simple fait de respirer devient un acte d’endurance.

Le plan canicule existe… mais reste largement insuffisant

Le ministère de la Justice a bien déployé un « plan canicule », en théorie activé du 1er juin au 30 septembre. Il prévoit des consignes aux chefs d’établissements : Multiplier les douches, aménager les horaires de promenade, distribuer des bouteilles d’eau, surveiller les personnes fragiles.

Mais dans la pratique, les syndicats dénoncent une application hétérogène, minimaliste et inefficace. « À Aix-Luynes, on a dû appeler les secours pour un détenu en urgence vitale. À Perpignan, il y a eu trois malaises dans la même journée. Tout le monde est à bout », résume un surveillant syndiqué à l’UFAP-UNSa.

La promesse d’installer des ventilateurs dans toutes les cellules ? Elle reste lettre morte dans une majorité d’établissements vétustes, incapables de supporter l’ajout de systèmes électriques supplémentaires.

Tensions en hausse, surveillants à bout, administration dépassée

Les conséquences de cette chaleur accablante ne se limitent pas aux malaises physiques. Elle exacerbe les tensions. À la moindre étincelle, les nerfs lâchent. Les surveillants doivent gérer des violences entre codétenus, des tentatives de suicide, des altercations verbales devenues quasi permanentes.

« Il n’y a plus de filtre. Tout est amplifié. La promiscuité, l’ennui, l’odeur, la chaleur… c’est un cocktail explosif. Certains crient toute la nuit, d’autres se tapent la tête contre les murs », raconte un agent du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan.

À cela s’ajoute l’isolement des personnels : « L’été, les familles viennent moins, les équipes sont réduites à cause des congés, et nous, on est seuls à gérer la pression », dénonce l’UFAP.

Des établissements anciens, inadaptés au climat de demain

Les prisons françaises, pour beaucoup, datent du XIXe siècle. Elles n’ont pas été conçues pour faire face aux canicules récurrentes du XXIe siècle. Pierres massives, absence d’aération, cours de promenade sans un arbre ni un coin d’ombre : Tout y est pensé pour enfermer, pas pour protéger.

À Carcassonne, les cellules donnent plein sud. À Béziers, certaines cellules du quartier disciplinaire n’ont pas de fenêtre ouvrable. À Nanterre, la climatisation ne fonctionne plus depuis des mois. Partout, la vétusté fait corps avec l’abandon.

La double peine : Prison + canicule = Indécence républicaine

Dans un rapport de l’OIP (Observatoire International des Prisons), les mots sont durs : « Il ne peut y avoir de traitement dégradant. L’administration pénitentiaire doit garantir le droit à la santé, même en détention. »

Mais comment garantir ce droit quand un homme meurt de chaud dans une cellule conçue pour deux et où ils sont cinq, sans ventilateur, sans glace, sans accès à un espace rafraîchi ?

François Bes, coordinateur régional de l’OIP, est catégorique : « Ce n’est pas une opinion politique. C’est une obligation légale. Une peine de prison ne doit jamais devenir une condamnation à la souffrance physique. »

Une société face à ses responsabilités : Que faire ?

Ce que révèle cette canicule, c’est l’indifférence d’une République à ses marges. Les détenus, souvent relégués au silence, sont confrontés à une peine invisible : Celle du climat. Celle de l’inconfort absolu, dans un contexte où l’État est seul garant de leur sécurité.

La surpopulation carcérale aggrave tout. Et pourtant, des solutions existent :

  • Accélérer les libérations conditionnelles pour les profils non violents.
  • Moderniser les bâtiments pénitentiaires avec une vraie stratégie climatique.
  • Doter chaque cellule d’un système de ventilation minimal.
  • Humaniser la détention avec des cellules conformes aux normes européennes.

Tant que cela ne sera pas fait, la canicule continuera à tuer… lentement, silencieusement, derrière les barreaux.

La chaleur ne juge pas, mais elle condamne

Il est 18H à Perpignan. Dans une cellule, un détenu tient une bouteille d’eau vide collée à sa tempe. Il ne parle plus. Il ne bouge plus. À côté de lui, deux autres hommes dorment à moitié nus sur des draps humides. La lumière tombe sur les barreaux. L’air est sec, lourd, irrespirable.

Et dans ce silence écrasant, une seule pensée s’impose : La prison n’est pas un bagne. Ou du moins, elle ne devrait plus l’être.

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