« Un soir, Antoine, ancien instituteur à la retraite, soupirait devant un reportage sur les violences scolaires. Il murmura à sa femme : « Tu crois que si ces jeunes-là avaient reçu deux ou trois bonnes claques, ils auraient mal tourné ? » »
Il n’y a pas si longtemps, on frappait pour apprendre
Dans la cuisine de sa maison normande, Antoine, ancien instituteur à la retraite, regarde sans un mot les images diffusées au journal télévisé. Une rixe entre collégiens, une vidéo partagée sur TikTok, un adolescent roué de coups par ses camarades pour une remarque de trop. Loin d’être un cas isolé, c’est devenu une scène tristement banale dans les cours d’école françaises.
Il repose sa tasse de café, se tourne vers sa femme et lâche, à mi-voix :
— Tu crois que si ces gamins-là avaient reçu deux ou trois bonnes claques quand il était temps… ils en seraient arrivés là ?
Sa question, posée sans malice, ravive un débat aussi vieux que l’école elle-même. Ce débat, Ouest-France l’a récemment exhumé dans un article documenté, retraçant l’histoire — et les résistances — de l’interdiction des châtiments corporels à l’école et en famille. Une plongée dans un passé pas si lointain, où la violence éducative n’était pas seulement tolérée… mais considérée comme nécessaire.
La férule, le martinet et le bonnet d’âne : Un effrayant inventaire
« Associer la violence à un projet éducatif nous semble aujourd’hui impensable », écrit Ouest-France. Et pourtant…
Jusqu’au cœur du XXe siècle, la trique faisait office d’argument pédagogique. Dès l’époque romaine, le pater familias avait un pouvoir total sur sa maisonnée, enfants inclus. Frapper pour corriger n’était pas seulement admis : C’était la norme.
Même sous l’Ancien Régime, aucun texte pédagogique majeur ne prône explicitement la violence. Mais les pratiques, elles, parlent d’elles-mêmes : La férule, le martinet, les verges, la trique, le bonnet d’âne, le banc d’ignominie, le genouiller, le cachot, l’habit de bure, les arrêts… L’école, à travers les siècles, a développé tout un arsenal punitif pour imposer l’obéissance.
Les coups n’étaient pas l’exception, mais un outil pédagogique. À l’époque, on éduque à coups de bâton, dans une société où l’enfant est souvent perçu comme un être déviant à redresser.
Érasme, Rousseau, les hygiénistes : Les premières fissures dans l’ordre des coups
C’est avec la Renaissance, puis le siècle des Lumières, que des voix commencent à remettre en cause cette violence éducative.
Le philosophe humaniste Érasme met en garde dans ses écrits contre l’abus des châtiments corporels :
« Rien n’est plus nuisible que l’accoutumance aux coups […]. Leur répétition fait que le corps s’indure aux coups comme l’esprit aux paroles. »
Mais les résistances sont immenses. Même les humanistes, tout en valorisant l’émulation et la confiance, ne renoncent pas à la trique. Ce qu’ils dénoncent, c’est l’excès — pas la méthode.
C’est finalement Jean-Jacques Rousseau, avec son regard révolutionnaire sur l’enfant — non plus vu comme un être pécheur, mais comme une promesse d’humanité à accompagner — qui redéfinit le sens même de l’éducation. Il ne s’agit plus de corriger mais d’aider.
Puis vint le courant hygiéniste, à la fin du XIXe siècle. Médecins et penseurs comme Riant, Hément ou Jacquey dénoncent les dangers de ces punitions pour la santé physique et mentale des enfants. Ils marquent un tournant : Frapper, c’est aussi abîmer durablement.
1887 : L’interdiction des coups à l’école… sur le papier
L’année 1887, sous la Troisième République, marque un jalon juridique : Les châtiments corporels sont formellement interdits dans les petites écoles de la République.
Mais dans la réalité, la férule reste dans les tiroirs des bureaux de maîtres, et le martinet suspendu à portée de main dans les salles de classe.
L’auteur Franck d’Arvert, dans le monumental Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, l’écrit déjà à la fin du XIXe siècle :
« Les règlements qui autorisent les châtiments corporels en les limitant ne sont qu’un compromis […] entre des usages traditionnels dont on reconnaît le danger et un idéal que l’on approuve mais que l’on croit irréalisable. »
Autrement dit : La loi interdit, mais la société n’est pas prête.
Il a fallu un siècle… pour que les coups quittent (vraiment) l’école
En réalité, il faut attendre les années 1970–1980 pour voir la disparition effective de ces violences. La pression sociale grandit, notamment de la part des parents des classes aisées, refusant que leurs enfants soient frappés. L’école change, lentement, sous cette pression venue de l’extérieur.
En parallèle, les pédagogies nouvelles prennent le relais. Montessori, Freinet, Claparède, Dewey… Ils défendent la participation de l’élève, la motivation, la créativité, et rejettent toute forme de contrainte violente.
La promesse est immense : On peut éduquer sans frapper. Et surtout, on peut mieux éduquer.
2019 : L’interdiction de la fessée dans les familles… enfin
Il aura pourtant fallu attendre le 6 mars 2019 pour que les châtiments corporels soient interdits dans le cadre familial. La France devient alors le 56e pays au monde à adopter une telle législation, 40 ans après la Suède, pionnière en la matière.
Cette loi interdit ce que l’on appelle les violences éducatives ordinaires : Fessée, gifle, tape, humiliation, isolement punitif… toutes ces formes de violence banalisées, mais qui marquent à vie.
Des études scientifiques le prouvent : Les enfants frappés développent plus souvent des troubles du comportement, deviennent eux-mêmes violents, ou vivent dans la peur et la honte. La violence éducative est un cercle vicieux.
Et pourtant… le mythe de la « bonne claque » perdure
Malgré les lois, malgré la recherche, malgré les voix d’experts… l’idée qu’une bonne fessée remet les idées en place subsiste dans l’imaginaire collectif.
Comme si la violence, pour peu qu’elle soit familiale ou scolaire, devenait acceptable, voire souhaitable. Comme si une claque aujourd’hui pouvait éviter une cellule demain.
Mais les faits démentent cette croyance. La violence n’éduque pas. Elle brise, désoriente, insensibilise. Et à long terme, elle fabrique plus souvent des bourreaux que des citoyens équilibrés.
Autorité ou brutalité ? Il est temps de choisir
Aujourd’hui, Antoine, dans sa maison normande, ne tient plus de martinet. Il relit parfois ses carnets de notes d’autrefois, où l’on parlait encore de « punition collective » et de « zéro de conduite ».
Il repense à ses élèves, certains devenus avocats, médecins… d’autres tombés dans la marginalité ou la colère. Et il se dit que, peut-être, ce n’était pas la claque qui faisait l’autorité.
Car l’éducation sans violence, c’est avant tout une éducation du sens, pas de la peur.

Yann GOURIOU est rédacteur et responsable éditorial de MyJournal.fr. Passionné d’actualité, de société et de récits de vie, il signe chaque article avec une approche humaine, sensible et engagée. Installé en Bretagne, il développe un journalisme proche du terrain, accessible et profondément ancré dans le quotidien des Français.
