Amélie, 34 ans, se demande : « Pourquoi disons-nous ‘euh’ en français alors qu’en anglais, c’est ‘um’ ? Existe-t-il une raison culturelle ou linguistique à ces différences ? »
Pourquoi dit-on « euh » en français et « um » en anglais ?
Amélie, 34 ans, s’est toujours demandé : « Pourquoi disons-nous « euh » en français alors qu’en anglais, c’est « um » ? Existe-t-il une raison culturelle ou linguistique à ces différences ? » La réponse à cette question, apparemment anodine, nous plonge dans les subtilités de la linguistique et dans les différences culturelles qui influencent notre manière de parler.
Les tics de langage : Un phénomène universel
Qui n’a jamais comblé un silence embarrassant par un long « euh », en espérant trouver la suite de sa phrase ? Ces petits sons, souvent inconscients, que les linguistes appellent des « pauses remplies« , sont universels. Ils servent à structurer la pensée, à maintenir l’attention de notre interlocuteur et à assurer une certaine fluidité dans la conversation. Frieda Goldman-Eisler, professeure à l’University College de Londres, explique que ces pauses doivent être considérées comme des éléments à part entière du discours. Elles jouent un rôle crucial dans notre manière de communiquer.
Selon les chercheurs Joseph Jaffe et Stanley Feldstein, la durée des pauses dans une conversation est également essentielle. En moyenne, une personne parle sans interruption pendant 1,64 seconde avant de marquer une pause. Ces silences, remplis par des sons ou des mots, renforcent le rythme naturel de la conversation et permettent aux interlocuteurs de se synchroniser inconsciemment.
Le français et son célèbre « euh »
En France, le « euh » est un incontournable de la langue parlée. Ce tic de langage, qui remonte à l’époque de Molière (on en trouve des traces dans L’École des femmes), est souvent perçu comme un marqueur de réflexion. Le Centre international d’Antibes souligne que ce « bouche-trou sonore » est spécifiquement français. Il permet aux locuteurs de structurer leur pensée tout en conservant le contrôle de la parole.
L’usage du « euh » peut aussi être perçu comme un signe d’hésitation ou d’indécision, mais il reste une partie intégrante de la communication orale en France.
Les anglophones et leur « um »
En anglais, deux sons principaux traduisent l’hésitation : « um » et « uh« . Bien que similaires, ils ont des fonctions légèrement différentes. Le « um » est souvent utilisé lorsque le locuteur réfléchit au contenu de ce qu’il va dire, tandis que le « uh » sert plutôt à organiser la manière dont il va l’exprimer. Cette distinction subtile illustre une organisation différente de la pensée par rapport au français.
« Äh » en allemand : Une pause réfléchie
En allemand, les sons « äh » et « hm » sont fréquemment utilisés pour marquer une pause ou une hésitation. Ils s’accompagnent souvent de mots comme « so » (donc) ou « eigentlich » (en fait), qui ajoutent une nuance de réflexion. Ces tics linguistiques, appelés « Modalpartikeln » ou « Füllwörter« , apportent de la texture à un discours tout en maintenant l’attention de l’auditoire.
L’Espagne, l’Italie et leurs hésitations expressives
Les langues latines comme l’espagnol et l’italien ajoutent une touche d’expressivité à l’hésitation. En Espagne, le son « e… » est couramment utilisé pour marquer une pause, souvent suivi de mots comme « o sea » (c’est-à-dire) ou « vale » (d’accord). En Italie, les sons « uh… » et « eh… » remplissent un rôle similaire, souvent accompagnés de gestes pour accentuer l’intention du locuteur. Ces combinaisons de sons et de mouvements reflètent le caractère expressif de ces cultures.
L’Asie et les nuances de l’hésitation
Dans les langues asiatiques, les tics d’hésitation varient. En japonais, par exemple, « ああ » (« aa« ) ou « ええ » (« ee« ) traduisent une réflexion en cours. En chinois, le son « 呃 » (« è« ) est fréquemment entendu, tandis qu’en coréen, « 음 » (« eum« ) joue ce rôle. Bien que différents, ces sons remplissent la même fonction universelle : Ralentir le discours pour mieux structurer la pensée.
L’Afrique et le Moyen-Orient : Un héritage oral riche
En Afrique, des sons comme « uh » et « oh » sont présents dans des langues comme le swahili ou le yorouba. En arabe, « أوه » (« aouh« ) est utilisé pour exprimer une hésitation ou combler un silence. Ces tics, souvent enracinés dans une forte tradition orale, facilitent les interactions et renforcent les liens entre les interlocuteurs.
Pourquoi ces tics sont-ils si importants ?
Les tics de langage, bien qu’ils soient parfois perçus comme des faiblesses, jouent un rôle fondamental dans la communication. Selon Élodie Mielczareck, sémiologue, ces sons remplissent une fonction « phatique » : Ils permettent de garder le contact avec l’interlocuteur et d’éviter les silences gênants.
Ces pauses remplies révèlent également des différences culturelles et linguistiques profondes. Par exemple, un Français qui multiplie les « euh » semble chercher ses mots, tandis qu’un anglophone qui utilise « um » donne une impression de réflexion rapide.
Malgré ces variations, l’hésitation reste un phénomène universel. Les pauses dans la parole représentent environ 40 à 50% de la durée totale d’une conversation, selon The New York Times. Ainsi, on passe presque la moitié de notre temps à ne rien dire… tout en disant beaucoup.
L’hésitation comme miroir culturel
Que ce soit un « euh » français, un « um » anglais, ou un « ああ » japonais, chaque langue a sa manière d’exprimer l’hésitation. Ces petits sons, apparemment anodins, reflètent des dynamiques sociales, culturelles et linguistiques riches et fascinantes. Alors, la prochaine fois que vous dites « euh », souvenez-vous : Vous participez à un phénomène universel.