En cette fin d’année, Sophie dépose une enveloppe discrète dans la loge du gardien de son immeuble. Mais d’où vient cette coutume des étrennes, qui nous invite à remercier ceux qui nous facilitent la vie au quotidien ? Est-il vrai que tout a commencé avec un brin de verveine chez les Romains ?
En cette période de fin d’année, une discrète enveloppe contenant quelques billets glissée dans la main d’un gardien, d’une aide ménagère ou d’un pompier est un geste traditionnel, ancré dans nos habitudes. Pourtant, peu de gens connaissent les origines précises de cette pratique que l’on appelle les étrennes. Alors que la tradition s’essouffle peu à peu, explorons l’histoire de ces dons symboliques qui remontent à la Rome antique, en passant par la cour de Versailles et la Révolution française.
Les étrennes dans la Rome antique : Un don sacré lié à la verveine
L’histoire des étrennes trouve ses origines dans la Rome antique. Chaque début d’année, les Romains avaient coutume de cueillir des brins de verveine dans les bois sacrés dédiés à la déesse Strenia, divinité associée au renouveau et à la bonne fortune. La tradition voulait que ces plantes soient offertes comme porte-bonheur, symbolisant les vœux de prospérité pour l’année à venir. C’est de ce rituel que serait d’ailleurs issu le mot « étrenne », un terme qui pourrait également dériver du latin strena, signifiant « présage » ou « signe de bon augure ».
Avec le temps, le simple don de verveine s’est enrichi. Les Romains commencèrent à offrir des figues, du miel ou des dattes pour symboliser la douceur et l’abondance. Puis, sous l’influence des traditions impériales, les cadeaux évoluèrent en dons monétaires ou en objets de valeur, à l’image des médailles ou des bijoux. Les magistrats de la cité, mais aussi les empereurs, bénéficiaient de ces étrennes, qui prenaient parfois des allures de pot-de-vin déguisé. Si certains empereurs, comme Tibère, méprisaient cette coutume, d’autres en faisaient un véritable rituel annuel.
De la noblesse à la cour de Versailles : L’âge d’or des étrennes
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, la tradition des étrennes se maintint dans les classes sociales les plus élevées. Elle prit une importance particulière à la cour des rois de France. Louis XIV, surnommé le Roi-Soleil, et sa noblesse, échangeaient des présents somptueux lors des célébrations du Nouvel An. Les étrennes étaient alors non seulement une marque de respect mais aussi une manière d’entretenir des relations politiques et sociales. Offrir des cadeaux prestigieux était un moyen pour les courtisans de se faire bien voir du monarque.
Peu à peu, cette pratique descendit dans la société et se démocratisa. Les familles, les proches, mais aussi les domestiques commencèrent à recevoir des étrennes en argent ou en objets utiles, comme une reconnaissance pour les services rendus au cours de l’année écoulée.
Une tradition contestée : Interdictions religieuses et révolutionnaires
Si les étrennes séduisaient les souverains et les nobles, elles furent en revanche mal vues par l’Église catholique. Perçue comme une survivance des rites païens romains, cette coutume fut interdite au VIᵉ siècle par les autorités religieuses. L’Église craignait que cette pratique, associée à la déesse Strenia, détourne les fidèles des enseignements chrétiens.
Plus tard, lors de la Révolution française, les étrennes furent à nouveau proscrites, cette fois pour des raisons politiques et sociales. Elles étaient considérées comme une source potentielle de corruption, notamment parmi les agents de l’État. Cette interdiction visait à moraliser les comportements et à éviter toute forme de favoritisme ou de pression sociale.
Encore aujourd’hui, certaines restrictions subsistent : À Paris, un arrêté préfectoral de 1955 interdit aux agents municipaux, comme les éboueurs ou les égoutiers, de solliciter des étrennes. Toutefois, en pratique, la générosité des habitants contourne parfois cette interdiction.
Les étrennes aujourd’hui : Une tradition qui s’essouffle
Au fil du temps, les étrennes ont perdu leur caractère sacré pour devenir un geste de remerciement, avant tout symbolique.
Elles concernent principalement :
- Les concierges ou gardiens d’immeuble,
- Les aides ménagères et les assistantes maternelles,
- Les pompiers, qui passent traditionnellement pour proposer leurs calendriers.
Selon une étude menée par Syneval, une société spécialisée dans la gestion de copropriétés, les locataires et propriétaires offrent en moyenne entre 50 et 200 euros à leur gardien ou concierge. Ce montant varie en fonction des quartiers et du type de service rendu.
Cependant, la tradition tend à se perdre, notamment dans les grandes villes où les relations de proximité se font plus rares. La nouvelle génération, moins attachée aux coutumes, est souvent moins encline à perpétuer ce geste.
Pourquoi continuer à offrir des étrennes ?
Si la coutume des étrennes est en déclin, elle reste un moyen simple et sincère d’exprimer sa gratitude envers les personnes qui contribuent, souvent dans l’ombre, à notre confort quotidien. Gardien d’immeuble, aide à domicile ou facteur, ces métiers de proximité méritent d’être valorisés. Une simple enveloppe ou un geste symbolique permet de maintenir un lien social essentiel et de débuter la nouvelle année sur une note positive.
Qu’il s’agisse d’une tradition antique ou d’une coutume moderne, les étrennes rappellent que la générosité et la reconnaissance sont des valeurs universelles, à transmettre de génération en génération.
Ainsi, offrir des étrennes, c’est bien plus qu’un geste financier : C’est un acte de reconnaissance, une trace d’histoire, et peut-être, pour certains, un signe de bon augure pour l’année à venir.