Corbeilles en moins, propreté en plus ? La Ville de Paris bouscule les codes de l’hygiène urbaine avec une méthode atypique.

À Paris, la disparition des poubelles de rue améliore-t-elle vraiment la propreté ?

SOCIETE

Une déambulation à travers les paradoxes de la capitale, où les poubelles s’évaporent pour laisser place à une ville… supposément plus propre.

Cassandra, 32 ans, cartographe pour une start-up écoresponsable du 11e arrondissement, n’est pas du genre à s’indigner pour un rien. Elle voit défiler les politiques parisiennes d’un œil à la fois analytique et poétique. Mais ce matin-là, en descendant la rue de la Fontaine-au-Roi, quelque chose cloche. Il y avait toujours eu, juste en face du Franprix, une petite poubelle verte, perchée sur un socle métallique rouillé. Aujourd’hui, plus rien.

« Elle a disparu. Comme les autres », murmure une vieille dame en sortant son chien.

Cassandra s’arrête, regarde autour d’elle. Pas de corbeille en vue. Des papiers volent au sol, un gobelet Starbucks roule dans le caniveau. Elle pense d’abord à un acte de vandalisme, avant qu’un commerçant ne lui glisse entre deux clients : « Non, c’est la mairie qui les retire. C’est pour que les gens arrêtent de mal les utiliser. »

Un Paris sans poubelles ?

La nouvelle est tombée comme une bombe dans les ruelles encombrées de la capitale. Depuis plusieurs semaines, la Ville de Paris a entamé une expérimentation étonnante dans plusieurs quartiers du 10e, du 18e, et désormais du 11e arrondissement : Retirer certaines corbeilles de rue pour… améliorer la propreté.

Contre-intuitif ? Absolument. Mais derrière cette décision se cache une volonté stratégique bien pensée, au moins sur le papier : Moins de poubelles, moins de dépôts sauvages. La Direction de la Propreté et de l’Eau (DPE), organe en charge de la salubrité de la capitale, assure que de nombreuses corbeilles sont utilisées à mauvais escient : Sacs ménagers jetés là où elles ne devraient recevoir que des papiers, mégots encore fumants, restes de pique-niques déposés au pied par manque de place… Résultat : Des débordements chroniques, des nuisances olfactives et visuelles, et un sentiment de saleté omniprésent.

Cacher la saleté… ou supprimer l’occasion ?

« C’est un peu comme enlever les cendriers pour que les gens arrêtent de fumer », ironise un agent de nettoyage, croisé rue du Faubourg-du-Temple. « Sauf que là, on enlève les poubelles en espérant que les gens garderont leurs déchets jusqu’à chez eux. »

Et pourtant… l’idée a des précédents. Dans plusieurs villes européennes, comme Stockholm, Copenhague ou certaines zones de Londres, des expérimentations similaires ont donné lieu à une réduction des déchets visibles. Pas parce que les gens sont devenus subitement plus propres, mais parce que la suppression des poubelles a été accompagnée de campagnes de sensibilisation ciblées, d’un renforcement des amendes, et d’un recours massif à la participation citoyenne.

Là où Paris innove, c’est dans le pari de la responsabilisation sans forcément accompagner.

DansMaRue, ou la ville participative

Heureusement, un outil numérique accompagne cette stratégie : L’application DansMaRue, téléchargeable gratuitement, permet aux citoyens de signaler dépôts sauvages, déchets, graffitis, ou mobilier urbain dégradé.

Depuis l’annonce du retrait progressif des corbeilles, l’application enregistre un pic de signalements, notamment dans les zones désormais privées de poubelles. C’est à la fois un indicateur d’efficacité (les citoyens jouent le jeu) et une alerte (la disparition des poubelles ne fait pas disparaître les déchets).

Des habitants partagés entre scepticisme et espoir

Dans le quartier de la Goutte d’Or, Anaïs, infirmière scolaire, s’inquiète : « Depuis qu’ils ont enlevé la poubelle près de la boulangerie, les papiers s’accumulent. Je ne pense pas que ce soit une bonne solution. Ils auraient dû mettre plus de poubelles, pas moins. »

À l’opposé, Xavier, un étudiant en sociologie, applaudit la démarche : « C’est malin. Ça force les gens à réfléchir. Les gens sont trop assistés. Une ville propre, ça commence par ne pas salir. »

La réalité se trouve, comme souvent, entre ces deux opinions.

Les chiffres à l’appui ?

Le bilan chiffré est encore en cours. La DPE assure que les zones test connaissent une baisse moyenne de 17% des dépôts sauvages autour des anciens emplacements de corbeilles. Mais ces données restent provisoires et ne prennent pas encore en compte les déchets « errants« , jetés dans les buissons, les grilles d’égout ou derrière les abribus.

Une ville plus propre… ou plus résignée ?

En observant un enfant ramasser une canette vide pour la donner à sa mère, Cassandra sourit. Peut-être que cette expérimentation n’est pas vouée à l’échec. Peut-être que l’avenir de Paris ne réside pas dans le plastique vert des corbeilles, mais dans l’éducation collective.

Mais en remontant vers Belleville, elle croise un banc public jonché d’emballages, une pizza éventrée dans une boîte détrempée. L’absence de poubelles n’a pas empêché l’irrespect, au contraire. Paris veut être propre, mais refuse de nommer ce qui salit : Le désintérêt, l’égoïsme, l’habitude.

Et si, finalement, ce n’était pas les poubelles qu’il fallait enlever… mais l’indifférence ?

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