Comment ai-je pu obtenir mon code de la route en quelques clics sur Snapchat, sans jamais avoir mis un pied dans une salle d’examen ?
Permis de tricher : Voyage au cœur d’un système à la dérive
Quand Élodie Massart, 22 ans, a reçu son attestation de réussite au code de la route par email, elle n’a pas ressenti la fierté qu’on imagine. Pas de sueur froide avant l’épreuve. Pas de fiches révisées jusqu’au bout de la nuit. Elle n’avait même jamais mis les pieds dans un centre d’examen. Pourtant, elle avait son précieux sésame, et pour à peine 260 euros, payés via un lien reçu sur Snapchat.
« J’ai tapé “code sans examen” dans la barre de recherche, et j’ai eu une dizaine de propositions en moins d’une heure. Un gars m’a répondu, j’ai envoyé une photo, payé par Lydia, et deux jours plus tard, j’étais officiellement reçue. »
Ce qui pourrait sembler être une anecdote isolée est en réalité le sommet d’un iceberg gigantesque : Celui d’un marché noir du code de la route devenu florissant depuis la privatisation de l’épreuve théorique en 2016.
La grande illusion de la privatisation
À l’origine, l’intention semblait louable. En confiant l’organisation de l’examen du code de la route à des sociétés privées comme La Poste ou SGS, l’État espérait désengorger les plannings des inspecteurs et réduire les délais d’attente pour le passage du permis. Mais ce que l’administration n’avait pas prévu, c’était la capacité de certains gérants de centres agréés à manipuler le système.
En théorie, chaque candidat se présente avec une pièce d’identité, est pris en photo, puis surveillé pendant l’examen par un agent. En pratique ? Des dizaines de milliers de fraudes documentées : Photos truquées, identités usurpées, agents complices ou peu regardants, voire carrément absents.
Le témoignage glaçant d’un “revendeur de codes”
Il s’appelle Mehdi (nom changé), il a 35 ans, et pendant plus de deux ans, il a dirigé un centre d’examen dans une grande ville française. Aujourd’hui condamné pour fraude, il témoigne anonymement : « Le système est fait pour être contourné. Je recevais des commandes par WhatsApp, des gens me payaient entre 200 et 300 euros. Je validais leur passage fictif au code. En un an, j’ai dû en faire passer 700. »
À ses côtés, deux autres anciens gérants décrivent un fonctionnement quasi-industriel. Des bases de données sont même échangées entre revendeurs, des “packs code + permis” circulent sur les réseaux sociaux.
Un chiffre qui fait froid dans le dos : 40% de codes frauduleux ?
Selon plusieurs sources internes à la Délégation à la sécurité routière, près de 4 codes sur 10 délivrés chaque année pourraient être frauduleux ou entachés d’irrégularités. En 2024, ce sont 83 centres qui ont été fermés, et 7 000 épreuves annulées. Un chiffre en apparence important, mais dérisoire face à l’ampleur du phénomène.
Pendant ce temps, les délais pour passer l’examen pratique s’allongent, les auto-écoles s’essoufflent, et des milliers de jeunes, surtout dans les zones rurales, attendent des mois avant de pouvoir passer leur permis.
Une inégalité devenue structurelle
Ce système bancal engendre une nouvelle forme d’injustice. Ceux qui ont les moyens – ou les bons contacts – peuvent obtenir rapidement leur code, sans effort. Les autres s’enlisent dans les délais, les examens annulés, ou les tentatives infructueuses.
Et si certains argumentent que cette fraude est « sans victime », la réalité est bien plus grave : Des conducteurs mal formés prennent le volant chaque jour, parfois sans aucune connaissance du Code de la route. Les conséquences, elles, se mesurent en vies humaines sur nos routes.
Les failles numériques : Snapchat, Telegram et cie
La grande majorité des transactions frauduleuses se déroulent désormais sur les réseaux sociaux. Snapchat, WhatsApp, Telegram… Des groupes fermés, parfois bien référencés, proposent des services tarifés allant de 150 à 500 euros pour un code « garanti sans échec ».
Les messages sont cryptés, les paiements rapides, les identités floues. Dans ces univers parallèles, les faux documents se commandent comme des pizzas. Des tutoriels circulent même pour aider les candidats à contourner les contrôles faciaux ou les vérifications de présence.
Et maintenant ? L’État tente de reprendre le contrôle
Face à cette hémorragie, les autorités ont lancé une série d’audits, fermé des centres, et mis en place des technologies de reconnaissance faciale. Mais selon plusieurs experts interrogés par Envoyé Spécial, ces mesures restent « trop tardives, trop partielles, et peu contraignantes ».
La privatisation, censée fluidifier le système, l’a paradoxalement rendu plus opaque, plus fragile, et surtout plus rentable pour les fraudeurs.
Une France à deux vitesses sur la route
Au final, ce que révèle cette affaire, c’est bien plus qu’une fraude sur un examen : C’est le reflet d’un système à bout de souffle, où les inégalités se creusent jusque dans les infrastructures les plus quotidiennes.
Car obtenir son permis n’est pas un luxe : C’est souvent une condition sine qua non pour travailler, pour vivre dignement. Et quand un État rend plus facile l’obtention d’un faux code que d’un vrai permis, c’est toute une génération qui roule sans rétroviseur, sans clignotant, et sans avenir.