Élodie : « Chaque fois que je vois mes parents galérer pour payer leur loyer ou mon frère courir après un CDD, je me demande : Est-ce qu’on ne devrait pas, en France, donner la priorité aux Français pour le travail, les logements sociaux et les aides ? Sommes-nous encore maîtres chez nous ? »
Il est 18h34 dans un quartier populaire de Nîmes. Élodie, 29 ans, termine son service à l’hôpital. Infirmière depuis cinq ans, elle enchaîne les nuits et les semaines à rallonge. Son frère, Romain, diplômé d’un BTS électrotechnique, multiplie les candidatures et les stages, sans décrocher de CDI. Ses parents, retraités modestes, viennent de recevoir une énième relance de leur bailleur social pour une régularisation de charges.
Ce soir-là, à la télévision, un reportage aborde la question de la « préférence nationale ». Élodie fixe l’écran. Ce mot, longtemps tabou, revient en boucle. Le débat est lancé : Faut-il donner la priorité aux Français dans l’attribution des emplois, des logements sociaux et des aides de l’État ?
Un concept ancien, une tension contemporaine
La « préférence nationale » n’est pas née hier. Elle s’inscrit dans l’histoire politique française dès les années 1980, popularisée par le Front National. À l’époque, l’idée était simple : Réserver aux Français de souche — ou du moins de nationalité — les bénéfices de l’État-providence. Une revendication aujourd’hui assumée et intégrée dans le programme du Rassemblement National.
Mais en 2025, cette question revient avec une virulence inédite. L’inflation, la pénurie de logements, le chômage des jeunes et les tensions identitaires ont ravivé un sentiment d’injustice profond : « Les nôtres d’abord ».
Chiffres à l’appui : Qui bénéficie réellement des aides sociales et du logement ?
Selon les dernières données de la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), environ 8% des bénéficiaires du RSA ne sont pas de nationalité française. Un chiffre souvent monté en épingle sur les réseaux sociaux, sans tenir compte des étrangers en situation régulière, souvent cotisants eux-mêmes.
En matière de logement, la loi DALO (Droit au logement opposable) garantit un accès prioritaire aux personnes sans abri ou en grande précarité, quelle que soit leur nationalité. Toutefois, des quotas invisibles se forment, et dans certaines villes, la proportion d’étrangers en HLM dépasse les 30% — un chiffre qui choque une partie de l’opinion publique.
Concernant l’emploi, la réalité est plus nuancée. De nombreuses professions, notamment dans le bâtiment, l’agriculture ou le nettoyage, peinent à recruter et font largement appel à une main-d’œuvre immigrée. Mais certains dénoncent un « déclassement » des Français, contraints à accepter des contrats précaires face à une concurrence qu’ils jugent déloyale.
Une injustice ressentie plus qu’objectivée
Pour Élodie, ce n’est pas une question de haine, mais de priorité. « Ce n’est pas normal qu’un mec qui vient d’arriver ait un logement social alors que mes parents attendent depuis 4 ans. Ce n’est pas du racisme, c’est juste du bon sens. »
Un discours que l’on retrouve dans toute la France périurbaine. Dans les zones rurales comme dans les quartiers populaires, le sentiment d’être les oubliés de la République monte. Des mères isolées sans crèche, des jeunes diplômés sans emploi, des retraités qui sautent des repas pendant que, croient-ils, « d’autres » profitent du système.
Mais les associations dénoncent une instrumentalisation politique : « On dresse les pauvres les uns contre les autres », affirme Nadia Belhouane, travailleuse sociale à Lyon. « Ce n’est pas l’étranger qui vole les aides, c’est le système qui est à bout de souffle. »
Le cadre légal : Ce que dit la loi
Aujourd’hui, la Constitution française garantit l’égalité devant la loi. Instaurer une préférence nationale reviendrait à modifier la Constitution, ce qui nécessiterait un référendum ou un vote au Congrès avec majorité des trois cinquièmes.
De plus, l’Union européenne interdit toute discrimination basée sur la nationalité, notamment dans le domaine de l’emploi. Un État membre ne peut pas, sauf rares exceptions, réserver un poste public à ses seuls ressortissants.
Une fracture politique et morale
Les partisans de la préférence nationale invoquent la justice sociale : « Il est normal que ceux qui ont cotisé, travaillé et construit ce pays soient prioritaires », clame Jordan Bardella. « C’est une question de dignité nationale. »
Les opposants parlent de dérive xénophobe. Pour Jean-Luc Mélenchon, « ce discours est une honte. Il divise le peuple, alors que nous devrions lutter contre la pauvreté, pas contre les pauvres. »
La majorité présidentielle, quant à elle, tente de naviguer entre les deux eaux : Pas de préférence nationale, mais des critères de résidence, d’ancienneté ou de cotisation renforcés. Une manière de restreindre l’accès sans tomber dans la stigmatisation.
Une jeunesse désorientée, une société en tension
Dans les lycées, les universités, sur TikTok et dans les débats de comptoir, le mot « préférence nationale » fait débat. Pour certains jeunes, c’est le début de la révolte. Pour d’autres, c’est une évidence.
Maya, 19 ans, étudiante à Toulouse, fulmine : « Quand je fais la queue à la CAF et que je vois que certains viennent d’arriver et sont mieux lotis que mes parents, j’ai envie de tout brûler. »
Entre mythe et réalité, une France à la croisée des chemins
La préférence nationale n’est pas qu’un projet politique. C’est le reflet d’une anxiété sociale, d’un ressentiment profond et d’une fracture identitaire.
Doit-on, au nom de la nation, redéfinir les priorités ? Ou bien s’en tenir à une République universaliste, où chacun, quelle que soit son origine, bénéficie des mêmes droits ?
La question reste posée. Mais une chose est sûre : Si l’État ne répond pas à la détresse des Français les plus précaires, d’autres le feront à sa place. Et pas toujours dans l’apaisement.