Loubna : « Pourquoi, ce soir encore, les cris de joie se sont mêlés aux sirènes ? »
C’était un soir comme tant d’autres. Un soir de victoire. Les klaxons hurlaient dans les avenues de Marseille, de Paris, de Lyon. Les visages étaient peints en bleu-blanc-rouge, les bras s’agitaient hors des fenêtres, et les drapeaux tricolores flottaient au vent chaud d’un début d’été. Mais dans les rues, quelque chose bascula. Encore une fois.
Des vitrines volèrent en éclats. Des scooters furent incendiés. Des CRS firent usage de gaz lacrymogène. Et le rêve d’union populaire laissa place, une fois encore, au constat d’un échec. Celui d’une fracture. D’une incompréhension. D’un mal-être.
🎭 L’émotion brute et le défouloir
Lamine, 17 ans, est né à Évry. Pour lui, le foot, c’est la passion, le rêve d’évasion, le seul moment où il oublie les murs gris de sa cité et l’ennui du quotidien. Il n’a jamais mis les pieds au Stade de France, mais il connaît les statistiques de Mbappé mieux que ses cours de maths. Ce soir-là, la France a gagné. Il hurle de joie avec ses potes. Mais très vite, le ton monte. Un policier le bouscule. Il le bouscule en retour. Et la violence s’enclenche, comme un engrenage.
Le foot, dans ces moments, agit comme un catalyseur. Il concentre en un seul événement : La fierté, l’identité, la frustration, la rage. Et pour certains jeunes, la frontière entre euphorie et débordement devient trop fine.
🏙️ La géographie de la colère
Il suffit d’observer la carte des incidents pour remarquer une tendance : Les violences éclatent souvent dans ou à proximité des quartiers populaires. Ces quartiers, souvent relégués à la périphérie des grandes villes, concentrent pauvreté, chômage, discriminations et promesses non tenues.
À Roubaix, c’est Rachid, 21 ans, qui parle :
« Ils nous disent qu’on est Français que quand on gagne. Mais dans la vie de tous les jours, on est juste des Arabes ou des Noirs. »
Ce sentiment de double standard alimente la défiance. Dans l’imaginaire collectif de certains jeunes, casser une vitrine de luxe ou incendier un véhicule devient alors un geste symbolique de revanche sociale. Un « ils » contre « nous » s’installe.
⚖️ L’effet de masse et la perte de repères
Une autre explication repose sur la dynamique des foules. Dans un groupe, l’individu perd sa conscience morale propre. Il suit, il imite. Et parfois, il dépasse les bornes. C’est ce qu’explique la sociologue Florence Bergeaud-Blackler :
« Ces débordements ne sont pas prémédités par la majorité. Mais dans l’euphorie, certains basculent dans une forme d’anomie. »
On casse parce que d’autres cassent. Parce que c’est vu comme cool. Parce qu’il n’y a plus de repère clair entre fête et délit.
🔥 Les provocations et le sentiment d’injustice
Plusieurs jeunes interrogés par la presse évoquent aussi les provocations policières, le contrôle au faciès, les insultes banalisées. Dans l’imaginaire de ces adolescents, l’uniforme n’incarne pas la sécurité, mais la défiance.
Alors parfois, face à une autorité vécue comme injuste, on répond par la révolte.
🧬 Immigration ? Non, précarité et abandon
Faut-il alors parler d’immigration ? Oui, mais avec précision. La majorité des jeunes impliqués dans les violences sont nés en France, sont Français, et ont grandi dans des quartiers populaires. Si leurs parents viennent parfois du Maroc, du Sénégal ou d’Algérie, cela n’explique en rien leur comportement.
Ce qui les lie, ce n’est pas l’origine, mais la précarité, le rejet, le manque de perspectives. On ne casse pas une vitrine parce qu’on est immigré. On la casse parce qu’on a grandi dans un monde où on n’a jamais vu son père partir travailler à 8h du matin, où l’on n’a jamais cru en sa chance de réussir légalement.
🎬 Le foot, miroir déformant de notre société
Le football est un formidable révélateur. Il rassemble autant qu’il divise. Il unit par l’émotion mais sépare par les inégalités.
Tant que certains jeunes vivront dans des ghettos sociaux et urbains, tant que leurs rêves s’écraseront contre les plafonds de verre d’un pays qui dit les aimer un soir et les rejette le lendemain, ces soirs de victoire seront aussi des soirs de violence.