« Valérie n’en peut plus : Chaque jour, dans son entrepôt du Lot-et-Garonne, elle affronte 37 degrés sous les tôles. Et si son patron refusait d’agir, aurait-elle le droit de dire non ? Que prévoit la loi exactement ? »
Une chaleur accablante… et un silence glacial du patron
Le thermomètre dépasse déjà les 30 degrés, et il n’est que 9 h du matin. Dans cet entrepôt logistique d’Agen, Valérie, cariste depuis 12 ans, sent la chaleur grimper comme une marée invisible et insidieuse. Autour d’elle, les collègues s’activent lentement, leurs gestes ralentis, leur souffle court. Personne n’ose se plaindre, mais les regards se croisent avec fatigue. Pas de ventilateurs, pas d’eau fraîche, aucune pause supplémentaire : L’employeur, un grand groupe national, fait la sourde oreille.
« On nous parle de productivité, de délais, mais jamais de nos corps qui souffrent », murmure Valérie en attrapant une palette. Pourtant, la loi, elle, parle. Et depuis le décret du 27 mai 2025, elle parle plus fort encore.
Le cadre légal : Une obligation de protéger
L’article L.4121-1 du Code du travail est clair : L’employeur est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cela inclut les risques liés aux fortes chaleurs. Depuis des années, ce principe général est invoqué, mais depuis mai 2025, un décret précise enfin les obligations concrètes en cas de canicule.
Ce décret vise à mieux encadrer les périodes de chaleur extrême, en obligeant les employeurs à réagir dès les premières alertes météorologiques, même sans canicule officiellement déclarée. Désormais, il ne s’agit plus de recommandations, mais de règles strictes.
Trois niveaux d’alerte : Jaune, orange, rouge
Le ministère du Travail s’appuie sur les vigilances de Météo France pour définir l’urgence d’intervention :
- Jaune : Températures élevées sur une courte période.
- Orange : Canicule sur plusieurs jours.
- Rouge : Canicule extrême, menace vitale.
Dans ces cas, le décret impose à l’employeur de réagir immédiatement, sans attendre d’accidents.
Les mesures concrètes imposées aux entreprises
Quelles sont les obligations précises désormais ? Voici les dispositions minimales que chaque entreprise doit appliquer :
👉 1. Fourniture d’eau potable fraîche
L’entreprise doit mettre à disposition de l’eau en quantité suffisante, fraîche et accessible en permanence. À défaut d’eau courante, au moins 3 litres d’eau par personne et par jour.
👉 2. Aménagement des horaires
Le travail aux heures les plus chaudes (généralement entre 13h et 17h) doit être limité. L’employeur doit réaménager les horaires pour protéger ses salariés.
👉 3. Multiplication des pauses
Des pauses régulières et prolongées doivent être autorisées. Elles permettent aux salariés de se reposer, s’hydrater, et éviter l’épuisement thermique.
👉 4. Adaptation des postes de travail
Ventilation, brumisation, stores, équipements rafraîchissants… tout doit être mis en œuvre pour réduire l’exposition à la chaleur.
👉 5. Information et sensibilisation
Les salariés doivent être formés aux risques de la chaleur : Signes d’alerte, gestes à adopter, conduite à tenir.
👉 6. Mise à jour du DUERP
Le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels doit inclure un plan canicule spécifique, avec des actions préventives documentées.
Le droit de retrait : Votre ultime recours
Lorsque la température devient insupportable et que l’employeur refuse d’agir, le salarié peut exercer son droit de retrait. C’est-à-dire : Cesser le travail sans être sanctionné, si un danger grave et imminent pour sa santé est constaté. En cas de canicule non gérée, ce droit est parfaitement légitime.
Dans certains cas, l’Inspection du travail peut être saisie, tout comme le Comité social et économique (CSE) qui dispose d’un droit d’alerte.
L’exemple du BTP : Un secteur en avance
Dans le bâtiment, la culture de la chaleur est bien connue. Depuis plusieurs années, les entreprises ont mis en place des bases-vie climatisées, des gilets réfrigérants et des horaires « décalés » dès l’aube.
Depuis 2024, les employeurs du BTP peuvent même recourir au chômage technique en cas de canicule, avec prise en charge par l’État à hauteur de 75% du salaire brut, sur présentation d’une alerte Météo France.
Témoignage : “On est mieux traités en prison qu’ici”
Dans un entrepôt de La Rochelle, un salarié l’a dit tout haut, avant de s’évanouir. « On est mieux traités en prison qu’ici : là-bas, ils ont au moins de la ventilation. » Une phrase choc qui a valu une visite de l’inspection du travail… et un rappel à la loi au patron.
Une responsabilité pénale en cas d’accident
En cas de malaise, d’hospitalisation, voire de décès lié à la chaleur et à l’inaction de l’employeur, la responsabilité pénale peut être engagée pour mise en danger de la vie d’autrui. Une plainte auprès du tribunal judiciaire ou du procureur est alors possible.
Quand la chaleur devient un révélateur social
Les fortes chaleurs ne sont pas qu’un phénomène météorologique. Elles révèlent le niveau d’attention qu’une entreprise accorde à ses salariés. Elles forcent à repenser l’organisation, à faire primer la santé sur la rentabilité, et à rappeler que le travail ne doit jamais rimer avec souffrance.
Comme le dit Valérie, les mains moites sur son volant :
« Je ne demande pas la clim. Je demande juste qu’on respecte mon corps. »