L’expulsion d’un père de famille âgé à cause des activités de ses enfants plonge Nogent-le-Rotrou dans l’émoi. Récit d’un drame social glaçant.

À cause de ses fils dealers, le septuagénaire expulsé de son logement social à Nogent-le-Rotrou devient SDF

SOCIETE

Par une nuit d’avril encore fraîche, alors que le silence de Nogent-le-Rotrou n’était troublé que par les grincements du vent dans les volets mal fixés des immeubles HLM de la rue Saint-Laurent, Alain, 70 ans, finissait de remplir deux sacs plastiques avec ce qu’il lui restait d’effets personnels. Deux paires de chaussettes, un radio-réveil cassé, une photographie délavée de sa défunte épouse Mireille, et un paquet de lettres jaunies, écrites à l’encre bleue tremblotante. Tout ce qu’il possédait désormais tenait dans un coffre de voiture et une mémoire usée par le temps.

Quelques heures plus tôt, un huissier de justice, flanqué de deux gendarmes, s’était présenté à sa porte. Pas de sommation, pas de ménagement. Le jugement était tombé sans appel : Expulsion immédiate du logement social qu’il occupait depuis plus de quinze ans. La cause ? Le trafic de drogue opéré par ses deux fils, Thomas et Malik, depuis les parties communes de l’immeuble.

Il ne savait même pas que son propre nom figurait sur l’arrêté de résiliation du bail. À croire qu’on lui faisait payer le sang qu’il n’avait jamais versé, les billets qu’il n’avait jamais vus, les clients qu’il n’avait jamais rencontrés.

« Monsieur, vos enfants ont transformé le hall de votre immeuble en supermarché de la drogue. Votre responsabilité est engagée. »

Les mots du représentant du bailleur social résonnaient encore dans ses oreilles comme un coup de fusil en plein cœur.

Alain, ancien ouvrier en métallerie, avait tout donné pour ses enfants. Il avait veillé tard le soir pour leur réchauffer une soupe quand leur mère est morte, il avait travaillé les week-ends pour leur acheter leurs premiers vélos. Et voilà que, trente ans plus tard, il se retrouvait accusé par procuration, puni par ricochet.

Thomas, l’aîné, avait mal tourné après un séjour en prison pour vol aggravé. Malik, plus jeune, avait sombré à son tour, fasciné par l’argent facile. Ils avaient commencé à squatter la cage d’escalier, puis à graffer les murs avec des codes, à distribuer des pochons comme d’autres livrent des pizzas. Les locataires s’étaient plaints. Le bailleur avait averti. La mairie avait alerté. Et Alain, dans tout ça ? Il dormait, mal, dans sa chambre, les volets fermés, un vieux poste de radio collé à l’oreille.

Quand il avait tenté de les mettre dehors, ce sont eux qui l’avaient menacé. Quand il avait prévenu la police, on lui avait dit de « gérer ça en famille ». À la fin, c’est le juge qui l’a sorti de chez lui.

Depuis ce jour, Alain dort dans sa Renault Clio grise, stationnée non loin du cimetière où repose Mireille. Il ne dort pas vraiment. Il somnole, recroquevillé sur le siège conducteur, une couverture offerte par une voisine jetée sur les genoux. Parfois, il allume le moteur pour se réchauffer. Parfois, il pleure. Pas seulement pour lui, mais pour ces deux fils qu’il ne reconnaît plus. Pour cette société qui, à 70 ans, vous traite comme un complice alors que vous n’avez jamais levé la voix ni même baissé les bras.

« J’ai honte, mais pas pour moi », murmure-t-il un soir à une bénévole de l’association locale qui vient lui porter un café chaud. « J’ai honte pour ce qu’ils sont devenus. Et j’ai peur de mourir seul, comme un chien. »

Le plus cruel dans cette histoire, c’est l’indifférence. Les voisins, soulagés de retrouver un hall d’immeuble calme, haussent les épaules. La mairie, contactée par la presse locale, parle d’un « cas regrettable mais exemplaire ». Le bailleur, lui, évoque « la responsabilité des occupants principaux dans le maintien du bon usage des lieux ».

Personne ne veut voir que derrière la façade du “père des dealers”, il y a un vieil homme usé, abandonné par les siens et sacrifié sur l’autel d’un ordre public à deux vitesses.

Alain ne demande pas grand-chose. Un toit, un lit, un peu de silence. Il a déposé une demande de logement temporaire auprès du CCAS. Mais on lui a répondu qu’il fallait attendre son tour. Ironie tragique : Même la rue a une liste d’attente.

Un matin, alors que le brouillard léchait les pare-brise des voitures garées, Alain s’est approché de l’église du centre-ville. Il a prié, seul sur un banc, les mains jointes, les yeux humides. Il ne priait pas pour lui. Il priait pour que Thomas et Malik ouvrent les yeux avant qu’il ne soit trop tard.

Le soir même, il est retourné dans sa voiture. Il a allumé la radio, comme toujours. Mais cette fois, il a laissé la porte entrouverte. Il espérait peut-être que quelqu’un s’y engouffre. Un fils, un élu, un passant. Peu importe. Juste quelqu’un pour lui dire qu’il n’a pas mérité ça.

Mais personne n’est venu.

Et Alain, ce soir-là, a compris qu’on peut tout perdre en restant honnête, qu’on peut devenir SDF à 70 ans non pas pour ses erreurs, mais pour avoir porté un nom que l’on n’a pas choisi d’entacher.

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