Aurélie demande, un brin intriguée : « Mais pourquoi est-ce que je me sens toujours obligée de tenter ma chance au Loto chaque vendredi 13 ? C’est idiot, non… ou peut-être pas ? »
Paris, un matin gris d’un vendredi 13
Dans la petite supérette du boulevard Diderot, la queue s’allonge devant la caisse. Une majorité de clients n’ont qu’un but : Valider leur grille de Loto ou d’EuroMillions. Une atmosphère fébrile, un sourire complice entre joueurs, quelques mots échappés :
— Aujourd’hui, c’est le jour ou jamais, hein ?
— Ah, moi, je ne rate jamais un vendredi 13 !
Ce rituel se répète partout en France à chaque occurrence de ce fameux jour. Mais pourquoi donc ce chiffre honni ailleurs devient-il, ce jour-là, l’emblème de la chance ?
Le phénomène est ancien, profond et soigneusement entretenu par les opérateurs de jeu.
Une superstition ancrée dans l’inconscient collectif
Le 13 fascine. Le vendredi 13 électrise.
Dans de nombreuses cultures, le chiffre 13 est réputé porter malheur. La phobie du nombre 13 — appelée triskaïdékaphobie — a traversé les siècles : On saute parfois le 13e étage des gratte-ciel, le siège 13 d’un avion…
Mais en France, une tradition s’est inversée : Le vendredi 13 est devenu une journée symbole de chance, une journée propice aux tentatives de fortune.
Comment ce renversement s’est-il produit ?
Grâce à un subtil mélange de folklore populaire, d’astuces marketing et… de psychologie.
Une histoire de marketing (très) bien huilée
Dans les années 1930, les Loteries nationales naissantes ont saisi l’opportunité : Pourquoi ne pas transformer la superstition du vendredi 13 en une journée phare du jeu ?
Au fil du temps, cette date est devenue une institution. Chaque vendredi 13, la FDJ (Française des Jeux) organise un tirage spécial, souvent assorti de gains plus élevés et d’une communication massive.
Affiches, spots TV, réseaux sociaux, presse : Tout est fait pour rappeler que ce jour-là, « la chance pourrait bien frapper à votre porte ».
Résultat : Le nombre de grilles jouées au Loto ou à l’EuroMillions est en moyenne multiplié par 2 à 3 les vendredis 13 par rapport à un tirage normal !
En 2023 par exemple, lors du vendredi 13 janvier, plus de 16 millions de grilles de Loto ont été validées en France, contre 6 à 7 millions un samedi classique.
La psychologie derrière l’acte de jouer
Mais pourquoi les joueurs se laissent-ils si volontiers séduire ?
Parce que le vendredi 13 active un levier fondamental : L’espoir.
Ce jour-là, chacun peut se dire : « Et si, aujourd’hui, c’était vraiment possible ? »
Le sentiment d’être « protégé » par une chance particulière pousse les joueurs occasionnels à tenter leur chance.
Le phénomène a été étudié par les psychologues :
- Le biais de disponibilité nous fait croire qu’un évènement marquant (comme un gain de 13 millions un vendredi 13 !) est plus probable qu’il ne l’est en réalité, car il est très médiatisé.
- Le biais d’optimisme nous pousse à croire que nous avons plus de chances que les autres.
- Et l’effet de contagion sociale renforce la dynamique : « tout le monde joue, pourquoi pas moi ? ».
Un jackpot pour la Française des Jeux
Les chiffres sont éloquents.
Chaque vendredi 13 génère un chiffre d’affaires record pour la FDJ.
Les tirages spéciaux permettent :
- D’attirer de nouveaux joueurs.
- De réactiver les anciens.
- Et de renforcer le sentiment collectif autour du jeu.
Les analystes estiment qu’environ 15 à 20% du chiffre d’affaires annuel du Loto est réalisé sur les vendredis 13 et les jours voisins.
Le phénomène touche aussi l’EuroMillions, bien que celui-ci soit moins directement lié aux superstitions françaises : La FDJ en profite pour proposer aussi des « Super Jackpots » sur ces dates symboliques.
L’illusion du contrôle
Si les joueurs parient davantage un vendredi 13, c’est aussi parce que ce jour-là, ils ont l’impression d’avoir un levier sur la chance.
Valider une grille, c’est agir.
Choisir ses numéros fétiches, c’est croire qu’on influence son destin.
En réalité, les probabilités restent implacables :
- Pour le Loto, une chance sur 19 millions de gagner le jackpot.
- Pour l’EuroMillions, une chance sur 139 millions.
Mais l’important n’est pas là. Ce qui compte ce vendredi-là, c’est de rêver, ensemble, pendant quelques heures ou quelques jours.
Un moment collectif
Le vendredi 13 est devenu une petite fête populaire.
Au bureau, en famille, entre amis, on échange sur ses grilles :
- « Moi j’ai mis les anniversaires de mes enfants. »
- « J’ai vu un numéro 7 sur ma plaque de voiture ce matin, je le prends ! »
Ce moment partagé contribue à l’attrait du jeu.
Même les personnes habituellement réticentes au Loto franchissent le pas « juste pour ce jour-là ».
Mais attention aux dérives
Ce succès commercial ne doit pas masquer les risques :
- Le jeu excessif touche 1,4 million de Français selon l’Observatoire des jeux.
- Les vendredis 13 sont propices aux débordements, surtout pour les joueurs vulnérables.
Les associations rappellent qu’il est essentiel de jouer avec modération et de se fixer des limites strictes.
« La chance ne se provoque pas avec plus de mises », insistent les spécialistes de l’addictologie.
Rêver d’un jackpot le temps d’une journée… sans perdre le sens des réalités
Le vendredi 13 est une fabuleuse machine à rêves.
Grâce à une savante alchimie de superstition, de marketing et de psychologie, ce jour est devenu un jackpot… surtout pour la FDJ !
Mais au fond, pourquoi bouder ce petit plaisir collectif, tant que l’on reste raisonnable ? Après tout, rêver d’un avenir en or pour le prix d’une grille, cela vaut peut-être bien quelques euros.
Et vous, ce vendredi 13… cocherez-vous vos numéros fétiches ?