Un soir de novembre, Adélaïde relut la lettre d’adieu que son arrière-grand-mère avait écrite à son mari pendant la guerre. Elle y découvrit une phrase énigmatique : « Si seulement j’étais née après 1884, j’aurais pu fuir… ». Ce fut pour elle le début d’un long voyage à travers les archives familiales et les méandres du droit français. Depuis quand pouvait-on, en France, se libérer d’un mariage sans amour ni respect ?
Il y a des mots qui résonnent dans le silence des salons anciens. Des mots qui traversent les siècles en glissant le long des lignées familiales, en se faufilant entre les lettres d’amour jaunies et les actes notariés oubliés. Divorce est de ceux-là.
Dans une maison de pierres près d’Angoulême, Adélaïde, professeure d’histoire en congé sabbatique, tombe un jour sur une boîte en fer rouillé. À l’intérieur : des photographies, un vieux bracelet d’ivoire… et une lettre. Une lettre d’adieu. « Je t’aurais quitté, Jules. Si seulement la loi m’y autorisait… » Il n’en faut pas plus pour qu’Adélaïde s’embarque dans une enquête personnelle et historique : Depuis quand peut-on divorcer en France ?
1792 : Le divorce révolutionnaire, un acte politique autant qu’intime
La Révolution française ne s’est pas contentée de couper des têtes, elle a aussi tranché les liens sacrés du mariage. Le 20 septembre 1792, la loi reconnaît officiellement le droit au divorce, une première dans un pays catholique comme la France.
Ce n’était pas simplement un progrès juridique : C’était une rupture philosophique. Le mariage devient un contrat civil, et donc, révocable. On peut divorcer pour adultère, abandon du domicile, « incompatibilité d’humeur« , ou même par consentement mutuel.
À Paris, les premiers mois sont une libération : On divorce à tour de bras, surtout dans les milieux populaires et ouvriers. Une femme comme Louise, lavandière dans le Marais, n’a plus besoin de subir en silence les coups de son mari. Elle peut partir. Et elle part.
1816 : La Restauration monarchique enterre le divorce… pendant 68 ans
Mais les vents changent. En 1816, sous Louis XVIII et la pression de l’Église, le divorce est purement et simplement aboli. C’est la « loi Bonald« , du nom du comte qui voulait restaurer les valeurs chrétiennes.
Les femmes sont à nouveau prisonnières du mariage. La séparation de corps reste possible, mais elle n’a aucun effet juridique fort : On reste marié, sans cohabiter, sans possibilité de se remarier. Autant dire : Une cage dorée.
C’est cette époque qu’a connue l’arrière-grand-mère d’Adélaïde. Mariée de force, battue, sans recours légal, elle a vécu jusqu’à sa mort avec un homme qu’elle haïssait. Son seul exutoire : écrire. Et attendre qu’un jour, peut-être, ses petites-filles aient d’autres options.
1884 : Alfred Naquet et la loi qui redonne espoir
Il faut attendre 27 juillet 1884 pour que le divorce revienne dans le paysage légal français. La loi Naquet — du nom du député radical qui en fut l’instigateur — autorise à nouveau le divorce pour faute : Adultère, sévices, condamnation pénale.
Mais le divorce reste complexe, coûteux, stigmatisant. Dans les villages, une femme divorcée devient vite la « dépravée« . On la regarde de travers à l’église, on ne l’invite plus au bal. Pourtant, certaines osent. Et brisent le silence.
1975 : Une révolution silencieuse avec le divorce sans faute
C’est sous le tandem Giscard-Chirac qu’une grande réforme est votée, le 11 juillet 1975. Pour la première fois, on peut divorcer sans faute, notamment :
- Par consentement mutuel,
- par rupture prolongée de la vie commune (au moins 6 ans),
- pour altération définitive du lien conjugal.
C’est la première fois que la loi reconnaît qu’un mariage peut mourir de lui-même, sans qu’il y ait forcément un coupable.
La société change. Le nombre de divorces augmente rapidement. Les enfants de mai 68 grandissent et, avec eux, l’idée qu’on peut aimer, et cesser d’aimer, sans honte.
2004 et 2017 : Vers un divorce plus rapide, moins conflictuel
La réforme de 2004, entrée en vigueur en 2005, simplifie encore les procédures. Elle facilite la voie amiable, protège davantage les enfants, accélère les délais.
Et en 2017, une nouvelle étape est franchie : Le divorce par consentement mutuel sans juge. Il suffit désormais de passer devant un notaire, à condition que les époux soient d’accord sur tout, y compris la garde des enfants et la pension alimentaire.
Aujourd’hui : Le divorce, reflet d’une société plus libre… mais pas toujours apaisée
Adélaïde, après avoir retracé toutes ces étapes, regarde autrement la lettre de son ancêtre. Elle comprend que ce soupir écrit en 1912 était un cri étouffé, un rêve brisé par la loi.
En 2025, divorcer est un droit. Mais cela reste une épreuve. Financière, émotionnelle, familiale. La loi évolue, mais les douleurs humaines restent. Et chaque séparation est une histoire. Comme un roman. Avec son avant, son après. Et parfois, une réconciliation — avec soi-même.
🔚 Un droit conquis à la force des larmes et du temps
Le divorce, en France, n’est pas un simple acte administratif. C’est le fruit d’un long combat pour la liberté, l’égalité, et la dignité. De 1792 à aujourd’hui, il a traversé les révolutions, les retours en arrière, les tabous, les réformes.
Et désormais, grâce à lui, des femmes comme Louise ou Adélaïde — et tant d’autres anonymes — peuvent, si elles le veulent, tourner la page sans effacer leur histoire.
Article très intéressant, merci.