Éléonore : « Quand ceux qui doivent incarner la justice tombent eux-mêmes dans l’illégalité, que nous reste-t-il ? La toge protège-t-elle de tout… y compris du mensonge ? »
Le juge qui s’inventait une autre vie
Il s’appelle Fabrice Karcenty dans les salles d’audience. À Marseille, son nom sonnait comme un gage de rigueur, d’autorité, parfois de froideur. Ce magistrat de quarante ans passés, au verbe précis et à la diction impeccable, siégeait depuis des années dans les travées feutrées de la justice française. Mais ce lundi 16 juin 2025, ce n’est pas derrière la barre qu’il se tenait. C’était dans le box des prévenus, au tribunal judiciaire de Nîmes.
Ce jour-là, la chute fut brutale. Officiellement, il venait reconnaître sa culpabilité dans le cadre d’une procédure dite CRPC – comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, aussi appelée « plaider coupable« . Mais les chefs d’accusation alignés sur le papier étaient nombreux, presque surréalistes venant d’un homme censé incarner l’ordre.
Une douzaine de délits sur deux années d’imposture
Le magistrat, pourtant diplômé des plus prestigieuses institutions juridiques, s’était créé une double vie… mais pas au sens sentimental du terme. Il s’agissait d’une double identité administrative, d’un entrelacs de fraudes, de fausses déclarations, et de petites combines indignes d’un représentant de la loi.
À commencer par l’usurpation de plaques d’immatriculation. Plusieurs véhicules dont il était propriétaire circulaient avec des plaques falsifiées, imitant celles de voitures d’autrui. À quoi bon ? Pour passer les péages sans payer, évidemment. Plusieurs milliers d’euros de trajets ont ainsi été effectués sur le réseau autoroutier sans que les sociétés gestionnaires puissent facturer le bon conducteur. Un comportement de chauffard invisible, masqué par la fraude.
Mais ce n’est pas tout. Le juge Fabrice Karcenty avait également falsifié des certificats d’assurance, utilisé des fausses adresses de domiciliation, produit des faux documents d’identité, et même tenté de tromper l’administration judiciaire à laquelle il appartenait. En somme, une série noire de douze délits commis en moins de deux ans, dans une discrétion glaçante.
Un juge condamné par ses pairs
Le 16 juin 2025, la justice n’a pas tremblé. Quatorze mois de prison avec sursis, interdiction de repasser son permis pendant un an, remboursements aux sociétés d’autoroutes lésées, et obligation d’indemniser les victimes indirectes des usurpations. Ironie amère : Ce juge, qui autrefois sanctionnait des délinquants routiers ou des faussaires à la barre, entendait désormais des verdicts à son propre sujet.
Sa voix a tremblé, dit-on, au moment de reconnaître les faits. Il n’a pas plaidé la démence, ni l’excuse sociale. Il a seulement dit : « Je suis tombé dans une spirale de facilité et de négligence. » Mais le parquet ne l’a pas suivi dans cette indulgence morale. Il a parlé de manquements graves à l’éthique, de perte de confiance envers la fonction judiciaire, de scandale public inévitable.
La profession secouée, la confiance ébranlée
À Marseille, l’affaire s’est répandue comme une traînée de poudre. Un juge qui fraude, c’est toute une institution qui vacille. Les syndicats de magistrats, généralement discrets, ont exprimé une forme de sidération. Le Conseil supérieur de la magistrature s’est saisi du dossier, annonçant qu’une procédure disciplinaire suivrait cette condamnation pénale.
Car si la peine est avec sursis, les conséquences sur la carrière du magistrat, elles, sont bien réelles. Suspension immédiate de ses fonctions. Et sans doute radiation à venir. À ce niveau de responsabilité, il ne s’agit plus seulement d’une faute : C’est une trahison de l’éthique républicaine.
Quand la justice trahit la justice
Ce qu’on retiendra de cette affaire, ce n’est pas seulement le montant des péages fraudés ni les documents falsifiés. C’est l’image d’un homme en robe noire, symbole d’intégrité, tombé dans les pièges de ses propres mensonges. L’histoire d’un juge qui s’est pris pour un fantôme administratif, usant de subterfuges comme le ferait un voyou.
Mais cette fois, le voyou, c’était lui.