Peut-on aimer sans perdre son Aspa ? Focus sur un dilemme méconnu qui touche de plus en plus de retraités français.

Mariage et Aspa : Risquez-vous de perdre votre allocation si vous vous mariez ?

FINANCE

C’est un samedi ensoleillé dans la petite ville de Montmorillon. Dans un appartement modeste au 3e étage d’un immeuble HLM, Marcelle, 72 ans, remet du rouge à lèvres devant le miroir de l’entrée. Ce soir, c’est la fête du club de danse. Maurice, son compagnon de tango, l’y attend. Voilà sept ans qu’ils s’aiment en silence, entre valses lentes et confidences échappées à l’abri des regards. Mais Maurice a fait sa demande. Une bague, une promesse. Et depuis, Marcelle ne dort plus.

Non pas parce qu’elle ne l’aime pas. Mais parce que dans son courrier, une lettre de la CAF l’a alertée : Si elle se marie, elle pourrait perdre l’Aspa, cette allocation qui lui permet aujourd’hui de vivre dignement avec un peu plus de 1 000 € par mois.

L’Aspa, une aide précieuse… mais conditionnelle

L’Aspa, ou Allocation de solidarité aux personnes âgées, remplace depuis 2006 le « minimum vieillesse ». Elle est versée aux retraités de plus de 65 ans (ou à partir de 62 ans pour les invalides) qui ont de faibles ressources. Elle garantit un revenu minimum – 1 012,02 € par mois pour une personne seule en 2025, 1 571,16 € pour un couple.

Et c’est justement ce « pour un couple » qui bouleverse tout.

Car le montant de l’Aspa est calculé en fonction des ressources du foyer, et non de l’individu. Dès qu’un bénéficiaire se marie, se pacs ou vit en concubinage notoire, ses ressources sont alors réévaluées… à deux.

Une déclaration d’amour… et de revenus

Marcelle touche l’Aspa parce qu’elle perçoit une très faible retraite (713 € mensuels) complétée par cette allocation. Maurice, lui, perçoit 1 200 € de pension chaque mois. Si Marcelle et Maurice s’unissent, leurs revenus cumulés (713 + 1 200 = 1 913 €) dépasseront le plafond de 1 571,16 € fixé pour un couple. Résultat ? L’Aspa sera supprimée.

Et ce n’est pas une simple rumeur de bistrot ou de club de bridge. C’est une règle stricte, inscrite dans le Code de la sécurité sociale. Si vos ressources à deux dépassent le plafond, l’Aspa disparaît. Brutalement. Définitivement.

Les retraités amoureux contraints à l’ombre

C’est ainsi qu’en France, des milliers de retraités, veufs, divorcés ou longtemps célibataires, renoncent à officialiser une relation tardive. Par peur de tout perdre. Pas l’amour, non. Mais l’aide qui les nourrit, les soigne, les chauffe.

Maurice, au bras de Marcelle ce soir-là, sait tout cela. Il n’a jamais insisté. Il se contenterait de vivre près d’elle, sans papier, sans contrat. Mais Marcelle, elle, aurait voulu une robe, une photo. « Juste un baiser dans la mairie », dit-elle avec pudeur.

Mariage, Pacs ou concubinage : Tout change

Il faut savoir que le mariage, le Pacs, mais aussi le concubinage notoire sont tous pris en compte par les caisses de retraite pour recalculer vos droits à l’Aspa. Le concubinage, souvent difficile à prouver, peut être établi par des témoignages, une déclaration d’impôts commune ou une enquête sociale.

Ainsi, même vivre ensemble sans se marier peut vous faire perdre cette allocation.

Et pourtant… combien de retraités le savent réellement ? Trop peu.

Des solutions ? Peu nombreuses, mais possibles

Certaines associations de défense des retraités réclament une réforme : « Il est absurde de punir l’amour », clame l’ADVF (Aide Dignité Vieillesse France). D’autres suggèrent un maintien partiel de l’Aspa en cas d’union, ou une prorogation de l’aide en cas de faible revenu global.

Mais pour l’instant, la loi est claire. Et cruelle.

En 2024, une proposition de loi visant à désolidariser les revenus des couples âgés a été rejetée. Le gouvernement invoque « l’équité » et la lutte contre les cumuls abusifs. Pourtant, les chiffres montrent que près de 40 % des bénéficiaires de l’Aspa vivent en isolement volontaire pour ne pas perdre leurs droits.

Le prix de l’amour après 70 ans

Marcelle a refusé la bague. Du moins, pour le moment. Elle garde Maurice à ses côtés, mais reste seule sur les papiers. Pas par choix, mais par nécessité administrative. Comme elle, des milliers de retraités français vivent ainsi dans une forme de clandestinité affective.

Dans une société qui célèbre les mariages de centenaires en une de journaux, comment peut-on encore punir financièrement celles et ceux qui s’aiment tardivement ?

La question demeure.

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