Pourquoi Jordan Bardella a-t-il choisi de se rendre en Israël maintenant, dans un contexte où chaque geste diplomatique résonne avec une intensité particulière, et que signifie vraiment cette première visite d’un président du Rassemblement National sur la terre d’Israël ?
Tel-Aviv, Mars 2025
Le vent du désert se lève lentement sur la pierre blanche de Jérusalem, balayant les ruelles millénaires comme pour effacer les marques du passé. Mais ce jour-là, c’est un autre genre de tempête, bien plus symbolique, qui s’apprête à souffler sur les relations diplomatiques franco-israéliennes. Car pour la première fois dans l’histoire politique française, un président du Rassemblement National foule le sol d’Israël. Et ce président s’appelle Jordan Bardella.
L’image est saisissante : Jeune, costume ajusté, regard déterminé, Bardella descend les marches de l’aéroport Ben Gourion, salué par un représentant officiel du gouvernement israélien. Une poignée de main, un sourire, quelques mots échangés en anglais… et l’histoire est en marche. Car cette visite n’est pas qu’un déplacement diplomatique : C’est un signal, une rupture, un acte politique à la portée colossale.
Un passé à assumer, un avenir à écrire
Il faut bien comprendre l’onde de choc que représente cette invitation. Car le Rassemblement National, ex-Front National, traîne derrière lui une histoire trouble, marquée par les provocations de son fondateur, Jean-Marie Le Pen, et des accusations récurrentes d’antisémitisme. Pendant des décennies, Israël considérait le FN comme infréquentable. Le simple fait qu’un représentant de ce parti pose le pied sur la terre promise aurait été impensable, même il y a dix ans.
Mais depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête, puis l’ascension fulgurante de Jordan Bardella, le parti s’est engagé dans une stratégie dite de « dédiabolisation ». Finis les discours outranciers, place à la respectabilité. Place à un RN qui parle d’économie, de pouvoir d’achat, de sécurité… et qui tente de gommer son passé.
Pourquoi Israël ? Pourquoi maintenant ?
La question mérite d’être posée. Pourquoi Bardella choisit-il ce moment précis pour répondre à l’invitation du gouvernement israélien ? Officiellement, il s’agit de participer à une conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme. Un sujet sensible, bien sûr, mais aussi hautement symbolique pour un parti politique souvent accusé d’avoir frayé avec les extrêmes.
En coulisses, les observateurs s’accordent à dire que ce voyage est un message politique soigneusement orchestré. Un message à la communauté juive de France, d’abord, encore méfiante à l’égard du RN. Un message à l’électorat modéré, ensuite, pour qui l’image d’un Bardella accueilli à Jérusalem incarne un parti devenu « présentable« . Un message, enfin, aux alliés internationaux, notamment en Europe de l’Est, où certains dirigeants populistes affichent déjà des liens solides avec Israël.
Une diplomatie parallèle ?
Jordan Bardella n’est pas venu les mains vides. Son agenda est chargé : Visite du Mémorial de la Shoah de Yad Vashem, rencontres avec des élus de la Knesset, entretiens avec des membres du gouvernement de Benjamin Netanyahou. Son discours, prononcé en anglais face à un parterre d’invités internationaux, se veut à la fois sobre et solennel :
« L’antisémitisme est une blessure ouverte dans l’histoire européenne. Il ne doit jamais être minimisé, ni instrumentalisé. C’est ici, en Israël, que l’on comprend l’importance de la mémoire et de la transmission. »
Des mots qui tranchent avec l’héritage politique de son parti, et qui ouvrent une brèche inattendue : Le RN cherche-t-il à bâtir sa propre diplomatie parallèle, indépendamment de l’Élysée ?
Les réactions en France : Un pays divisé
Du côté de l’exécutif français, l’initiative est observée avec une prudente distance. L’Élysée n’a pas réagi officiellement. Mais au sein de la classe politique, les réactions fusent.
À gauche, on dénonce une « opération de communication cynique ». Le député socialiste Boris Vallaud déclare : « On ne gomme pas cinquante ans d’histoire en cinq jours à Tel-Aviv. »
À droite, certains saluent une démarche courageuse. Le sénateur LR Bruno Retailleau parle d’un « geste fort, qui montre que les lignes bougent enfin dans notre pays. »
Quant aux représentants de la communauté juive de France, les positions sont partagées. Si le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) n’a pas officiellement condamné la visite, il s’est empressé de rappeler qu’il « ne s’associe d’aucune manière » à cette initiative. Une manière de garder ses distances sans refuser le dialogue.
Une stratégie de normalisation assumée
Jordan Bardella le sait : Ce voyage est une prise de risque calculée. Il sait que certains militants de la première heure grinceront des dents. Mais il sait aussi que pour parvenir au pouvoir, le RN doit poursuivre sa mue. Et cette mue passe par des gestes forts, des symboles, des ruptures avec le passé.
En choisissant Israël, Bardella frappe fort. Il bouscule les certitudes. Il oblige ses adversaires à revoir leur grille de lecture. Il transforme un déplacement en événement politique.
Et après ?
Rien ne sera plus comme avant. Dans les semaines à venir, les sondages diront si ce pari diplomatique a payé. Mais une chose est certaine : Le RN n’est plus ce qu’il était. Et Jordan Bardella, en homme habile, vient de franchir une étape décisive dans sa conquête du pouvoir.
Peut-être qu’un jour, les historiens se souviendront de ce mois de mars 2025 comme du moment où l’extrême droite française a tenté de se réconcilier avec son passé pour mieux embrasser l’avenir. Un avenir qu’elle rêve de voir s’écrire… à l’Élysée.