En voyant cette femme brandir les bras au ciel, un sourire immense sur le visage, je me suis sincèrement demandé : Est-ce une mère qui vient de perdre son fils ou une gagnante de l’EuroMillions ? Le contraste entre la douleur que j’imaginais et l’expression de joie m’a déroutée… Jusqu’à ce que je me demande si tout cela était bien réellement sincère.
Mais alors du coup j’ai pas tout compris, elle a perdu un enfant ou elle a gagné à l’EuroMillions ?
La scène aurait pu être celle d’une finale de Coupe du monde. Une foule compacte, des cris, des poings levés, et au milieu de tout cela, une femme perchée au-dessus de la mêlée, les bras tendus vers le ciel, un sourire éclatant figé sur le visage. Une femme vêtue d’un t-shirt blanc, frappé de l’inscription « Justice pour Nahel », qui exulte comme si elle venait de décrocher le gros lot.
La photo a fait le tour des réseaux sociaux en quelques heures. Pour certains, elle incarne la force d’une mère qui, malgré la douleur, se dresse contre l’injustice. Pour d’autres, elle est la preuve d’une mise en scène grossière, presque indécente, où la cause semble effacée derrière le besoin de paraître.
Alors, que voyons-nous réellement sur cette image ? Une mère brisée ou une actrice de son propre drame ?
Une tragédie qui devient spectacle
Le 27 juin 2023, la France s’embrasait après la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans, tué par un tir policier à Nanterre lors d’un contrôle routier. Une affaire qui, très vite, a déclenché une onde de choc dans tout le pays, réveillant les débats sur les violences policières, la discrimination et les tensions dans les quartiers populaires.
Mounia, la mère de Nahel, est rapidement devenue le visage de cette lutte pour la justice. Invitée sur les plateaux télé, portée par une vague de soutien médiatique et militant, elle a organisé des marches, pris la parole dans les médias, interpellé le gouvernement, dénoncé ce qu’elle qualifie de « bavure ».
Jusque-là, rien d’anormal. Une mère a perdu son fils, elle veut comprendre, obtenir des réponses, et faire en sorte qu’aucune autre famille ne vive cela. Mais très vite, une gêne s’installe. Un malaise face à des images, à des postures, à des discours qui semblent plus emprunts de stratégie que de spontanéité.
Quand la colère prend des airs de performance
Le moment capturé par la fameuse photo n’est pas anodin. Ce jour-là, Mounia participe à une manifestation. Au lieu de marcher dignement, elle est hissée au-dessus de la foule, en position de leader, saluant les caméras avec une énergie presque euphorique. Le contraste est saisissant.
Ceux qui l’observent sans connaître le contexte pourraient croire qu’il s’agit d’une victoire, d’une annonce heureuse. Mais que célèbre-t-elle vraiment ? Un rebondissement judiciaire ? Le soutien populaire ? Ou autre chose ?
La douleur d’une mère est indiscutable. Elle peut s’exprimer de mille façons. Mais la manière dont Mounia occupe l’espace médiatique, avec une assurance presque militante, interroge. D’autant plus que certaines de ses prises de parole contiennent des formulations calculées, parfois même provocantes. À tel point que certains proches de la famille se seraient éloignés, déroutés par cette médiatisation intensive.
Une récupération médiatique ou un besoin de reconnaissance ?
Il ne s’agit pas ici de nier la souffrance. Mais de se demander si, à force de caméras, de micros, et de hashtags, la frontière entre le deuil intime et la revendication publique ne s’est pas estompée. Car dans cette affaire, Nahel semble peu à peu s’effacer derrière le personnage de sa mère.
Certains internautes, choqués par l’image, n’ont pas hésité à la détourner, ajoutant cette légende assassine : « Elle a perdu un enfant ou elle a gagné à l’EuroMillions ? ». Difficile de ne pas voir là une critique acerbe, même si cruelle, de l’incohérence perçue entre le fond de la cause et la forme adoptée pour la défendre.
Les réseaux sociaux, impitoyables, transforment tout en mème. Mais encore faut-il leur donner matière à le faire. Dans cette affaire, la communication autour du drame a parfois frôlé l’indécence, au point de faire basculer l’opinion publique.
La justice, au cœur du silence
Pendant ce temps, l’enquête judiciaire suit son cours. Le policier mis en examen continue de clamer qu’il s’agissait d’un tir « contraint », qu’il a agi sous pression. Les débats s’enlisent dans des expertises balistiques, des vidéos analysées image par image, des reconstitutions. Pendant ce temps, la colère s’éparpille, et la mémoire de Nahel semble piégée entre récupération politique et règlements de comptes idéologiques.
Dans ce tumulte, la voix de Mounia ne fait plus l’unanimité. Trop présente, trop affirmée, trop médiatique pour certains. Elle agace autant qu’elle émeut. Elle divise autant qu’elle rassemble. Et surtout, elle interroge : Peut-on être à la fois victime et influenceuse de sa propre tragédie ?
Un malaise sociétal bien plus profond
Ce débat dépasse largement le cas de Mounia. Il touche à notre manière collective de gérer le deuil, la révolte, l’émotion. Dans une société où l’indignation se monnaye en clics, où chaque cause devient une campagne, chaque douleur un drapeau, chaque cri un slogan, il devient difficile de distinguer l’authentique de la mise en scène.
Ce que cette photo révèle, ce n’est pas seulement une femme en deuil. C’est une époque où les frontières sont brouillées. Où l’on célèbre sur la tombe d’un enfant parce que c’est ainsi que l’attention fonctionne. Où l’on manifeste en posant. Où la justice se réclame sous les projecteurs.
Quand la douleur laisse place au doute
Elle a perdu un enfant, oui. Mais elle a aussi gagné quelque chose d’autre. Une visibilité, une place dans le débat public, une légitimité que d’autres contestent. Alors, la question mérite d’être posée, aussi dérangeante soit-elle : Dans ce combat pour la justice, qu’est-ce qui relève encore de la douleur, et qu’est-ce qui appartient désormais à la mise en scène ?