Clémence, 32 ans, habitante de Clermont-Ferrand, se demande : « Est-ce que défendre la planète à l’Assemblée suffit à se donner le droit d’aller polluer ailleurs pendant ses vacances ? »
Clémence, 32 ans, enseignante dans un collège de Clermont-Ferrand, est passionnée par l’écologie politique depuis l’époque où elle manifestait avec ses camarades contre les projets d’aéroports inutiles. Elle trie ses déchets, mange local, et composte religieusement ses épluchures de pommes. Comme tant d’autres, elle a voté pour ces visages nouveaux, ces élus de gauche qui brandissent la justice climatique comme un étendard. Mais cette semaine d’avril, alors qu’elle feuilletait paresseusement les actualités pendant son lundi de Pâques, une information l’a fait sursauter.
Alma Dufour, députée LFI de Seine-Maritime, est en Équateur. Officiellement, pour « suivre les élections présidentielles ». Officieusement, les images qu’elle partage depuis Quito entre deux meetings politiques la montrent en tee-shirt sous les palmiers, lunettes de soleil sur le nez, sourire éclatant devant des paysages tropicaux. Pendant ce temps, François Ruffin, député de la Somme, figure charismatique et très médiatique de la gauche populaire, fait une tournée dans les départements d’Outre-mer.
Clémence repose son téléphone. Quelque chose coince. Pas dans les faits — après tout, chacun a droit à des vacances — mais dans ce qu’ils incarnent.
✈️ Le grand écart écologique
Depuis plusieurs années, les partis de gauche les plus engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique ont multiplié les propositions radicales : Taxation du kérosène, limitation des vols intérieurs, interdiction des jets privés, et promotion du tourisme local et bas carbone. Ces idées ont séduit, notamment chez les jeunes et les urbains soucieux de leur empreinte carbone. Mais que reste-t-il de ces belles paroles lorsque ceux qui les portent choisissent de s’éloigner des plages bretonnes pour les plages caribéennes ?
Le trajet Paris-Quito en avion émet environ 3,3 tonnes de CO2 par personne aller-retour, soit l’équivalent de deux ans de chauffage électrique pour un appartement moyen. Une dissonance criante avec les injonctions à la sobriété qui pleuvent à longueur d’interventions médiatiques.
🌴 L’ombre du greenwashing politique
Personne ne remet en cause l’engagement passé de ces députés. Alma Dufour, issue du mouvement écologiste Les Amis de la Terre, a été de tous les combats contre Amazon, la bétonisation des terres agricoles et l’agrobusiness. François Ruffin a mis sa notoriété au service des oubliés, des ouvriers, des précaires. Mais au-delà des faits, c’est le symbole qui interroge. L’image d’un militant écologiste prenant l’avion pour aller « observer » une élection à 9 000 km, ou celle d’un élu se filmant au bord d’un lagon, laisse un arrière-goût d’incohérence.
L’accusation d’hypocrisie écologique n’est pas nouvelle. Elle est même devenue un angle d’attaque politique privilégié de la droite et de l’extrême-droite, ravies de pointer du doigt la moindre faille comportementale de leurs opposants.
Mais cette fois-ci, ce n’est pas seulement les adversaires idéologiques qui s’indignent. De nombreux électeurs de gauche eux-mêmes expriment leur malaise, à l’image de Clémence, ou de centaines d’internautes qui ont exprimé leur déception sur les réseaux sociaux.
🗣️ Réactions, silence et justification
Interrogée par des journalistes sur son séjour, Alma Dufour a répondu sans détour :
« J’assume pleinement ce voyage. Suivre des processus démocratiques ailleurs permet aussi d’enrichir notre vision ici. »
Une réponse qui n’a pas éteint la polémique, bien au contraire. Sur X (anciennement Twitter), des activistes climatiques lui ont rétorqué que ce genre de mission pouvait tout aussi bien être suivi à distance, et qu’aucun combat ne justifiait une telle empreinte carbone individuelle, surtout quand on prône l’exemplarité.
Quant à François Ruffin, il reste silencieux. Aucun post sur ses réseaux n’évoque ses déplacements en Guadeloupe ou à La Réunion. Une stratégie qui témoigne peut-être d’un malaise, ou au moins d’une conscience que l’époque ne tolère plus les contradictions.
🧭 Des élus, des humains… mais des exemples
Le débat soulève une question fondamentale : Les élus écologistes peuvent-ils être tenus à un niveau d’exemplarité supérieur à celui des autres ? Doivent-ils renoncer à toute forme de loisir carboné au nom de leurs convictions ? Peut-on être un militant sincère tout en prenant l’avion ?
Oui, répond Clémence, sans hésiter. Non pas parce qu’elle rêve d’un monde sans avion, mais parce qu’elle croit que l’exemplarité est la condition sine qua non pour maintenir la confiance.
« Quand vous êtes prof et que vous dites aux élèves de ne pas tricher, vous ne pouvez pas être surpris s’ils vous tombent dessus si vous trichez vous-même. C’est pareil en politique. »
📉 La fracture militante
En toile de fond, ce genre de polémique alimente une fracture déjà bien entamée entre le discours politique et les réalités sociales. Ceux qui souffrent déjà des restrictions, qui n’ont pas les moyens de voyager, qui vivent dans des zones polluées et subissent les conséquences du dérèglement climatique, voient d’un œil amer ceux qui leur demandent des efforts pendant qu’eux s’accordent du bon temps sous les tropiques.
Ce ne sont pas seulement des vacances. Ce sont des symboles. Et dans une époque où tout est image, ces symboles comptent autant que les votes à l’Assemblée.
🔚 Une dissonance qui coûte cher
Peut-être ces élus ont-ils sincèrement cru que leur action justifiait leurs déplacements. Peut-être ont-ils agi sans en mesurer toutes les implications. Mais le mal est fait. Dans les quartiers populaires, dans les cercles militants, dans les salles des profs et les cantines d’entreprise, le doute s’installe. Et avec lui, un peu plus de défiance envers ceux qui prétendent nous guider vers un avenir plus juste, mais n’appliquent pas à eux-mêmes les règles qu’ils édictent.
Clémence, elle, ne sait pas encore pour qui elle votera aux prochaines élections. Mais une chose est sûre : Elle regardera de très près non pas seulement ce que les candidats disent… mais ce qu’ils font.